Nancy, la mère, incarnait l'équilibre. Elle était la confidente, le modèle, et le repère de la famille. Depuis qu'elle n'est plus là, elle laisse les siens désemparés, chacun vivant différemment leur deuil.
Ancien présentateur du journal télévisé maintenant à la retraite, David affronte son veuvage au quotidien, tout en s'étonnant qu'il n'est pas aussi dévorant qu'il le pressentait. C'est vrai qu'il avait l'habitude de vivre loin de Nancy, parti aux quatre coins de la planètes pour ses reportages, mais maintenant qu'elle n'est plus là, le manque est certes présent mais il arrive à le canaliser. Il a décidé de vivre plus sainement, et se jette à corps perdu dans le sport. L'exercice lui permet de trouver la quiétude, de se sentir "flotter sur une mer de tranquillité" , "Au paradis par la voie des eaux, se murmure-t-il à lui-même".
"Il lui est impossible d'avouer à Ed et à Lucy que leur père est à certains égards plus heureux depuis la mort de leur mère. Or de son point de vue, il se sent plus lui-même que depuis quarante ans, et il a des amis, certes un peu délabrés, qui le comprennent. Autant qu'il est possible. Du vivant de Nancy, il avait des secrets et lui faisait des cachotteries. Maintenant qu'elle n'est plus là, il a un secret qu'il doit cacher à ses enfants : il n'est pas malheureux".
Seulement, cette apparente sérénité ne soulage pas ses enfants Ed et Lucy, qui croient y voir un appel à l'aide masqué. C'est que David ne correspond pas au stéréotype du veuf : il n'est pas prostré, il ne fond pas en larmes à la moindre occasion, et surtout il est devenu un père plus attentif. Quand Ed a perdu sa mère, il a perdu à ses yeux la seule femme qui pouvait peut-être comprendre son épouse Rosalie. Sa volonté farouche de tomber enceinte consume leur couple et montre un nouvel aspect de sa personnalité qu'il ne connaissait pas. La pression, le travail, le manque de confiance en l'avenir le font dérailler au point qu'il entame une relation extraconjugale pour se rassurer sur sa virilité...
Lucy, elle, cherche à éloigner son ex petit ami Josh, homme imbus et volage, auprès de qui elle se rend compte qu'elle a perdu de précieuses années. Pourtant promue dans le classement des femmes brillantes du journal Evening News, Lucy est en proie au doute. Elle tente désespérément de donner un sens à sa vie et de rebondir, sans les conseils de sa mère qui était son pilier.
"Par contraste, elle-même voit clairement quelle image elle offre : elle est seule. Ed n'en a que pour les soucis de Rosalie ; papa veut redevenir jeune par tous les moyens , et Lucy, elle, à vingt-six ans, se sent rejetée, abandonnée".
Malgré les apparences tout ce petit monde va mal, et le spectre de Nancy, "le port d'attache" ne cesse d'apparaître. Chacun avait une idée préconçue sur le deuil et croyait naturellement que leur comportement en serait impacté. Ils se rendent comptent que la vie est ainsi faite de postures contre qui finalement il faut lutter. Or le deuil est un sentiment intime, étroitement mêlé au chagrin. Il se patine avec le temps mais ne disparaît pas. Dès lors, se pose la question du bonheur. Car les trois protagonistes se demandent finalement s'ils y ont encore droit alors qu'on leur a ôté une pièce maîtresse de leur équilibre familiale.
Au fur et à mesure du roman, les masques tombent. David est un personnage moins sympathique qu'il n'y paraît, Ed un époux moins solide, et Lucy une femme plus forte que les apparences. L'apparence est un miroir aux alouettes, on ne montre que ce qu'on veut bien montrer. Parfois, il faut briser le miroir et se libérer. Au Paradis par la voie des eaux est le roman de la destruction de l'imposture.
"D'autres vies. On croit tous qu'on aurait pu avoir une autre vie que la nôtre".
Ed. Jacqueline Chambon, octobre 2017, traduit de l'anglais (GB) par France Camus-Pichon, 277 pages, 22.50€
Titre original : To Heaven by Water