vendredi 6 octobre 2017

La Passerelle, Lorrie Moore

Ed. Points Seuil, avril 2011, traduit de l'anglais (USA) par Laetitia Devaux, 416 pages, 7.60€
Titre original : A Gate at the Stairs

Quand Tassie décroche le job de nounou chez Sarah et Ed, elle croit avoir décroché le travail idéal d'étudiante : bien payé, famille modèle, et la petite Mary-Emma très facile à gérer. Sauf que...

... Au fil du temps, le tableau idyllique vieillit mal, se fissure même.

Tassie a gardé sa naïveté provinciale. Issue d'une famille d'agriculteurs du Midwest, elle est arrivée sur le campus de Troie avec euphorie  car elle découvrait les attraits de la ville dont elle ne soupçonnait même pas l'existence.
"Je venais du lycée de Dellacrosse ainsi que d'une petite ferme sur l'ancienne route de Perryville, et m'étais retrouvée dans la ville universitaire de Troie, l'Athènes du Midwest. J'étais comme sortie d'une grotte, telle l'enfant prêtre d'une tribu colombienne, celle que j'avais étudiée en anthropologie culturelle, un enfant devenu mystique après une enfance passée dans le noir et des récits pour seule expérience du monde extérieur".
Chez Ed et Sarah, ce sentiment de découverte a perduré longtemps. Bien que presque quinquagénaires, ils ont adopté une petite métisse et ont décidé de jongler entre leurs professions respectives - restauratrice et universitaire - et leur nouveau statut de parents. Assez ouverts, ils ont vite mis Tassie à l'aise et lui ont permis de prendre de l'assurance.
Les journées passées entre les cours et la petite Mary-Emma s'écoulent sans anicroche. Le bébé est d'un naturel facile à vivre, et a vite adopté la jeune femme. Pourtant, il n'est pas facile tous les jours d'arpenter les rues, victimes parfois de réactions bêtes et inappropriées des gens lorsqu'ils se rendent compte de la couleur de peau de Mary. Tassie affronte ces moment de racisme ordinaire avec aplomb, qu'elle associe parfois aux réunions des parents de métisses qui ont lieu chez ses patrons chaque mercredi.

Pourtant, peu à peu, le bas blesse. Tassie remarque des incohérences de propos et de comportements chez ces parents idéaux. Sa relation amoureuse avec un étudiant étranger lui donne un nouveau point de vue sur ce qui se passe autour d'elle. Et puis son frère qui veut soudain s'engager dans l'armée lui vaut une forme de stress qu'elle tente de juguler. Et puis un jour, Sarah se confie...

La Passerelle combine à la fois une histoire familiale douloureuse et les névroses de l'Amérique : la peur des djihadistes cachés, le racisme larvé ou ordinaire, le culte des apparences, la volonté parfois un peu précipitée de vouloir servir son pays dans l'armée
On est dans un roman post 11 septembre, les données ont changé, et au fin fond de l'Amérique, même si tout est identique en apparence, une fois qu'on gratte un peu, le vernis disparaît. Avec la fraîcheur de sa jeunesse, Tassie affronte tous ces changements. Elle y perdra sa naïveté et ses idées pré-conçues, mais y gagnera en maturité et en perspectives.
La Passerelle est une photographie du pays en un instant T sous couvert d'une intrigue familiale qui, au fil des pages, perd de son intérêt.