On pourrait dire que J.D Vance est un survivant, pourtant il n'a jamais été sur le front, et sa vie n'a jamais été vraiment en danger ; mais, il a grandi au sein d'une famille de Hillbilies, haute en couleurs.
Hillbilly Elégie est un témoignage essentiel sur la société contemporaine américaine. Pour nous, lecteurs français, sa lecture ressemble à celle d'un roman de science-fiction tant nos références sociétales et nos systèmes de valeurs diffèrent. Sur bien des exemples cités, on se croirait dans La Vie est un long fleuve tranquille, le film d'Etienne Chatiliez (1988), tant l'enfance et l'adolescence de l'auteur ressemble à une comédie de moeurs.
"Voilà la véritable histoire de ma vie et la raison pour laquelle j'ai écrit ce livre. (...) Je veux qu'on sache quelle vie mène les plus pauvres et qu'on mesure l'impact de cette pauvreté, matérielle et spirituelle, sur leurs enfants. Je veux qu'on prenne conscience de ce que représente le rêve américain pour ma famille et moi. Qu'on se fasse une idée de l'ascension sociale et de ses effets".
On ne peut pas à proprement parler de roman, car Vance écrit bien sur sa vie, met en scène les membres de sa famille, et met en perspective ses souvenirs avec des études sociales sérieuses et des extraits d'essais politiques sur le sujet.
Car qui aurait pu croire que le petit garçon né des amours chaotiques d'une mère célibataire irresponsable, fille de hillbillies au verbe haut et à la vie rude, serait un jour diplômé de la Yale Law School ?
Tout ce qu'il est devenu, il le doit à ses grands-parents, surnommés affectueusement Papaw et Mamaw, "petits blancs" du Kentucky qui n'ont pas hésité à migrer dans les années cinquante vers l'Ohio et la Rust belt pour trouver du travail, s'isolant ainsi de leur famille et s'adaptant à une nouvelle vie totalement inconnue pour eux. Papaw et Mamaw ont des valeurs et les transmettent à leurs petits enfants même si les procédés laissent parfois à désirer. car J.D Vance a passé plus de temps chez eux que chez sa mère, grande instable et toxicomane à ses heures.
"Le spectacle de maman qui s'agitait et hurlait dans la rue fut le point culminant de toutes les choses que je n'avais pas vues venir".Certes, il connaît son père, mais ce dernier s'est réfugié avec sa nouvelle famille dans la religion, et a fait désormais de sa vie un acte permanent de contrition.
Avec sa mère, le quotidien est fait de bagarres, de disputes, d'absentéisme scolaire. Avec sa sœur Lindsay, il apprend très vite à être autonome ; le refuge maternel n'est qu'une chimère qui n'hésite pas à l'abandonner sur le bord de la route quand la pression est trop forte.
"Je continuais à croire que [Lindsay]n'avait rien d'un enfant. Elle était au-dessus de ça, la 'seule vraie adulte de la maison', comme disait Papaw, et ma première protection, avant même Mamaw (...) Je dépendais si complètement d'elle que je ne voyais pas Lindsay telle qu'elle était : une jeune fille, pas encore assez grande pour conduire une voiture, mais qui devait déjà se battre, à la fois pour son petit frère et pour elle".Alors quand il retrouve ses grands-parents, c'est le paradis. Cela lui permet aussi de rester en contact avec les autres membres de sa famille. sa jeunesse est forgée par les récits des uns et des autres, les vieilles histoires qu'on se transmet oralement et qu'on raconte aux plus jeunes même si elles sont remplies de violence. Pourtant, tous ces hommes et ces femmes connaissent la pauvreté au quotidien, mais ils ont de l'amour à partager. Simplement, par moment, ils ont des réactions violentes, sursaut peut-être pour monter à ceux qui les entourent qu'ils sont là, qu'ils existent, qu'ils ne sont pas une quantité négligeable de l'Amérique.
"Des parents normaux de la classe moyenne ne saccagent pas un magasin parce qu'un vendeur s'est montré quelque peu malpoli avec leur fils. Mais sans doute n'est-ce pas le bon critère de comparaison à utiliser. Détruire des marchandises dans un magasin et menacer un vendeur étaient un comportement normal pour Mamaw et Papaw : c'est ce que font les Appalachien irlando-écossais quand les gens s'en prennent à leurs gosses".
Tout au long de son récit l'auteur tente de démontrer qu'on peut grandir dans une famille qui " grimpe vite dans les tours, prête à tuer le temps d'un putain battement de cœur", et aussi avoir des valeurs et un regard acéré sur la société. Car c'est cette dernière qui modèle sa population : chômage, toxicomanie, pauvreté, ne sont que des résultantes de l'évolution de la société et de la consommation. Avant, les centre-ville avaient fière allure, les magasins étaient florissants ; maintenant les volets fermés et les grilles pour empêcher les vols sont monnaie courante, témoignage de la désertification du travail et de la pauvreté, "un pâle reflet de l'âge d'or de l'Amérique industrielle".
J.D Vance est très lucide, parfaitement conscient qu'il a grandi dans une famille tumultueuse :
"Tel était le monde dans lequel je vivais : un monde de comportements parfaitement irrationnels".
Mais c'était le seul repère dans ses yeux d'enfant. Le lycée puis les Marine plus tard et l'université lui ont permis de forger ce qu'il est devenu aujourd'hui. Les graines plantées par ses grands-parents ont germé favorablement et ont construit l'homme qu'il est. Ils ont senti qu'il pouvait devenir "le transfuge", celui qui réussit sans être issu de la classe moyenne ou favorisé, et ce livre est un hommage qui leur est rendu, avant d'être une étude sociétale de l'Amérique.