Eric Pessan s'est librement inspiré d'un fait divers survenu au Japon en 2016 pour écrire un roman dont l'héroïne développe des dons de médium.
L'exergue nous le rappelle, Eric Pessan est un fin amateur de l'oeuvre de Stephen King dont il a consacré un ouvrage en 2012 avec Ôtez les masques (Editions Cécile Dufaut). Alors s'en est-il inspiré pour écrire ce nouveau roman ? Oui, en quelque sorte...
Julie se réveille en sursaut, mais en fait c'est toute sa famille qu'elle a réveillée avec le hurlement qu'elle vient de pousser : elle a rêvé qu'on venait de l'abandonner dans la forêt de Hokkaido, et qu'elle regardait, incrédule, la voiture de ses parents s'éloigner.
Ouf cette situation était un cauchemar ! Du Japon elle ne connaît rien, et elle est bien dans sa chambre d'appartement, simplement ce rêve lui laisse un arrière goût amer, comme une sensation de déjà vu.
Les jours passent et l'état de Julie empire. La fièvre puis les nausées s'emparent d'elle, ainsi qu'un état de somnolence chronique. A chaque fois qu'elle sombre dans le sommeil, elle poursuit son cauchemar. Désormais, elle a acquis la conviction qu'elle est entrée dans les pensées de ce petit garçon dont les médias se repaît en ce moment : pas sage, ses parents ont voulu lui faire peur en l'abandonnant au bord de la route dans la forêt de Hokkaido . Or, quand une minute après ils ont voulu le récupérer, le bambin avait disparu ; depuis tout le monde le cherche tandis que le père passe son temps à s'excuser devant les caméras.
"Le silence de la forêt est un vacarme feutré, tendu, qui naît de la joie des aigles autant que la mastication ds chenilles, du balancement des feuilles, comme de la brusque détente d'un prédateur vers la gorge d'une proie .
Je suis un petit garçon, j'ai peur,je sens mes larmes monter,je ne veux pas pleurer,la brûlure au coin de chaque oeil devient insupportable(...)je suis perdu,totalement, et irrémédiablement perdu".
Quel parent n'a pas rêvé ne serait-ce qu'un instant de laisser son gamin là au bord d'une route alors qu'il est en train de piquer une crise de nerf, interpelle l'auteur ?
Apparemment c'est ce qui est arrivé à Julie plus jeune : ses parents, exaspérés par son comportement on fait semblant de l'abandonner. Résultat : ils l'ont cherchée pendant plus d'une heure.... Et si cette expérience dont elle ne garde aucun souvenir justifiait son rapprochement médiumnique avec le petit japonais disparu ?
Plus le gamin s'affaiblit, plus Julie sombre dans la fièvre. Elle EST l'enfant abandonné et ressent tout ce qu'il ressent : faim, peur, froid, et ce sentiment d'abandon qui lui colle à la peau. Si on ne le retrouve pas, que va devenir Julie ?
"Nous arrêtons de courir, et nous respirons amplement. Je le maintiens immobile jusqu'à ce que son cœur retrouve un rythme normal . Le garçon accepte de plus en plus facilement ma présence invisible Peut-être est-ce la fatigue ? Avec lui, je tresse un nous. Nous sommes deux dans un seul corps".L'horizon de l'adolescente s'élargit considérablement, elle qui n'a connu depuis l'enfance que son immeuble
M'étant intéressée à cette étrange affaire, forcément le rapprochement m'a sauté aux yeux, même si l'auteur ne s'en cache pas, l'intégrant à la seconde moitié du récit.
Dans la forêt d'Hokkaido s'intéresse de près aux rêves en général et aux cauchemars en particulier : ils sont le terreau de nos peurs les plus enfouies, mais sont souvent dues à des chocs émotionnels vécus très jeunes. Le don médiumnique devient un prétexte fictionnel pour intégrer le récit sur deux lieux et deux continents différents, favorisant ainsi, le changement de point de vue narratif.
Dès lors, le roman bénéficie d'une construction solide qui rend alors cette intrigue rocambolesque vraisemblable.
A bien y penser, c'est sûrement un de mes préférés d'Eric Pessan à L'Ecole des Loisirs.