lundi 25 septembre 2017

Mariage contre nature, Motoya Yukiko

Ed. Philippe Picquier, septembre 2017, traduit du japonais par Myrima Dartois-Ako, 128 pages, 13€

Parabole sur le mariage, l'auteur plonge le lecteur dans le quotidien d'un couple à travers le regard et les réflexions de la jeune femme.


Il n'a fallu qu'un an et demi pour que San et son fiancé se décident à se marier. Depuis, quatre ans ont passé et une certaine routine s'est installée.
"Le terreau était-il mauvais ou était-ce les racines qui posaient problème ? 
Quand j'ai décidé d'épouser mon mari, j'ai bien pensé que je m'exposais à la substitution ultime, à l'extinction totale, je ne peux le nier.
Mais aujourd'hui, quatre ans après notre mariage, je n'essayais pas de fuir le terreau qu'était mon époux." 
San ne travaille plus et occupe ses journées à tenir l'appartement propre, faire les course, et discuter avec sa voisine Kitae. Quant au mari, une fois passée la porte de son chez soi, le pantalon de jogging est de rigueur puis il se perd devant la télévision qui reste constamment allumée. Pour lui, l'expérience du mariage n'est pas une première, mais lorsqu'il a rencontré San, il a préféré taire ses défauts, à savoir le fait qu'il ne fait rien dans la maison, et se plait à faire la plante devant des émissions de divertissement.
"Il expédiait aussi vite que possible le dîner et son verre de pousse-café, puis il restait scotché à l'écran, à croire qu'il en suintait du nectar. Après avoir ainsi réussi à montrer son vrai moi, mon mari en était venu à déclarer en toute occasion : je suis le genre d'homme qui, chez lui, ne veut penser à rien".

Très vite, San dissocie le mariage et l'épanouissement personnel. A force d'observer sa moitié, elle en vient à se demander s'il est encore le même homme qu'elle a épousé. D'ailleurs, physiquement, elle note quelques changements, et elle-même sent qu'elle se laisse aller. Jamais nommé par son prénom, il devient une présence qui s'estompe au fil du récit. Aurait-il une influence néfaste sur elle ? La voisine Kitae lui a d'ailleurs raconté l'histoire d'un couple qui, au fil des ans, se sont mis à se ressembler au point d'avoir le même visage. Pour cela, l'un des deux avait renoncé à sa propre vie  pour combler l'autre. Or San sent que son mari perd pied ; il se passionne pour un jeu vidéo qui consiste à amasser des pièces d'or, puis remplace cette occupation par des recettes de friture, la réduisant ainsi à goûter, chaque jour, les exploits frits du jeune homme. Apparemment, son travail ne le convainc plus, alors autant rester auprès de sa femme ! Il aimerait tant qu'elle goûte aux mêmes occupations que lui !
"Sans doute imaginait-il que si nous ne faisions plus qu'un, il ne resterait plus personne d'étranger à lui".

San sent que son mariage est de plus en plus aliénant, voire destructeur. A toujours lui imposer ce qu'elle doit manger et faire, San perd toute liberté. Renoncer à son indépendance, ce serait aussi renoncer à elle. Et, à bien y regarder, son mari ressemble de moins en moins à un homme, comme si son enveloppe corporelle se redessinait pour devenir autre chose qui ressemble davantage à sa nature profonde...

Avec Mariage contre nature, Motoya Yukiko offre une parabole intéressante sur l'usure du couple. Elle part du principe que lorsque l'un des deux épousés renonce à soi pour satisfaire l'autre, le mariage devient une union dangereuse et empoisonnée. La liberté de penser est essentielle au bon fonctionnement d'une union. Renoncer ou céder du terrain est la porte ouverte à l'inconnu : sa moitié devient un autre au point de brouiller sa propre apparence.
Ce Goncourt Japonais de 2016 propose un épilogue à réflexion , un brin ironique, qui montre à quel point on ne connaît pas entièrement celle ou celui qui partage notre vie.