lundi 23 mai 2016

La Valse de Valeyri, Guomundur Andri Thorsson

Ed. Gallimard, Collection Du Monde entier, traduit de l'Islandais par Eric Boury, mai 2016, 192 pages, 18 euros.

Jour de brume



A Valeyri, petit port de pêche islandais, tout le monde se connaît. En ce jour de brume, Kata, surnommée Kata la Chorale, traverse le village à vélo. Elle rejoint la salle où ce soir elle dirigera la chorale du village.

La silhouette de Kata qui passe devant les fenêtres des maisons est le fil conducteur de ces histoires enchevêtrées. Le personnage la voit et se souvient d'une anecdote, d'un épisode marquant de son existence, ou retourne à ses préoccupations du moment. Pourtant, tous veulent assister à la représentation du soir car les notes de musique les "transportent dans une étrange et blanche dimension".

"Tous les secrets d'un petit village - ils ne sont pas certes très importants en tout cas, tous ne le sont pas, et pas toujours. Pourtant, avec la brume, nous sommes là, à cette fenêtre, tel un dieu curieux et bicéphale qui ne peut se résoudre à cesser de se prouver que la vie des hommes continue et suit son cours bien qu'il les ait dotés de libre arbitre".

La brume de Valeyri pourrait incarner ce narrateur omniscient, qui voit tout, qui sait tout, et qui ne juge pas. Elle pourrait être l'âme d'un défunt venant observer les hommes, ou un dieu descendu sur terre :
"Je ne  suis qu'une conscience. J'arrive de la mer, je longe la langue de terre, bientôt, j'aurais disparu avec la brume. Je suis la brise d'une fin d'après-midi quand je viens rendre visite aux gens vers quatre heures et demie, puis une heure plus tard, le vent m'emporte vers ce chez-moi, lequel est dans le passé, le révolu".
Alors cette brume nous raconte les portraits de seize habitants de Valeyri, leurs états d'âme, leurs désirs enfouis, leurs regrets aussi. Elle se glisse chez un poète dont les idées et les mots fuient aussi vite qu'ils arrivent dans son esprit.
"Le poème s'est envolé à tire-d'aile au petit matin, il a déserté sa conscience pour rejoindre les pays bleus et azurés. Il sait qu'il abritait des ailes, une voile, le temps, des routes et des notes de musique - tout passe".

Au fur et à mesure se pose la question de l'essence même de la vie. Qu'est ce que la vie ? L'accumulation de biens matériels, l'amour, le travail, la famille ? Malgré la crise économique mondiale de 2008 et la quasi faillite de l'Islande, certains ont repris leurs travers, ayant chassé la possibilité de prendre du recul et de reconsidérer leur façon de vivre :
"Il lui arrivait de se dire : tout cela n'est pas la vie. Ce n'est que l'existence. Nous lions trop intimement notre bonheur à notre réussite à notre confort - et nous lions trop notre confort à notre consommation".

La Valse de Valeyri dévoile aussi Ces Histoires qu'on tait ou qu'on chuchote sous le sceau de la confidence ou du secret. "Certaines histoires ne sont jamais dites. Profondément ensevelies quelque part, elles influent sur l'atmosphère du village, le parent d'une couleur invisible, et forment un murmure inaudible au creux du vent".
Parfois, certains chapitres sont connus de tous, retranscrits dans leur vérité ou alors déformés par la rumeur, n'empêche que chaque histoire est une pièce du puzzle de Valeyri que l'auteur nous reconstitue au fil des pages.
Grâce à l'excellente traduction d'Eric Boury, le lecteur découvre un roman (mais cela aurait très bien pu être un recueil de nouvelles) aux accents mélancoliques et poétiques. Au détour d'une page, on tombe sur de très belles phrases qui décrivent des instants figés ou des souvenirs. Seule la bicyclette de Kata la Chorale sillonne les rues, unique mouvement en ce jour de brume, comme si Kata symbolisait à elle seule le temps qui passe et un avenir meilleur en marche.