Ed. Actes Sud, traduit du japonais par Isabelle Sakaï, mai 2016, 112 pages, 13.80 euros.
Quand tout s'efface, que reste-t-il ?
Et puis après ?
Yasuo est un pêcheur heureux sur son bateau. Mari aimant, grand-père, dirigeant syndical, propriétaire de sa petite maison, il est un homme respecté et écouté. Seule ombre au tableau, le fait de ne pas avoir accueilli sa mère chez lui et l'avoir placée dans une maison de retraite...
Ce 11 mars 2011, au bord de l'eau, rien ne présage le drame. Seule ombre au tableau : le corps d'un chien jaune échoué sur la plage. Certes, le sol tremble, mais au pays, on ne se formalise plus de ce genre d'événements. Mais quand il voit la mer reculer, Yasuo comprend. Vite, il crie au pêcheur d'emmener les bateaux au large quand il est encore temps de passer au delà de la vague. A l'horizon, ils seront à l'abri...
"Jusqu'à ce qu'il se rende compte que la vague qui venait sur le rivage avec un grondement se retirait à une vitesse inhabituelle mais sans un bruit, il mena ses activités quotidiennes".
C'est l'instinct de survie qui a pris le dessus. Yasuo, sur son bateau, sent que rien ne sera plus comme avant. Le mur d'eau s'est écroulé sur son village et quand il observe le rivage, il ne reconnaît rien. Les cultures d'algues qui faisaient la fierté de ses collègues, l'usine, les habitations, le port, sont détruits. Et comme pour signaler l'ampleur du désastre, des débris viennent heurter la coque.
De retour sur la terre ferme, il retrouve son épouse Tokie saine et sauve. Yasuo s'estime chanceux, même s'il ne possède plus rien, même si on ne retrouve pas le corps de sa mère. Il n'a fait qu'obéir aux consignes données en cas de tsunami : prendre le large et attendre. Cela fait-il de lui un lâche ? En tout cas, Tokie est trop heureuse de le retrouver en vie. A deux, ils affrontent l'après, le centre d'hébergement, la promiscuité, le dénuement et l'impression permanente de ne servir à rien.
" A passer des jours dans l'oisiveté à ne savoir que faire, cloîtré dans un espace délimité par des cartons à être exaspéré par l'odeur d'ammoniaque et à dormir dès la mi-journée, il ne savait plus s'il était encore un être humain. Car telle une bête fauve, il se sentait devenir farouche et ces ravages s'aggravaient mais lui-même ignorait comment y remédier".
Yasuo a bien conscience que son avenir est sombre, et il est inenvisageable de quitter l'endroit où on y a perdu des êtres chers. Tokie et lui sont des survivants, ils doivent assumer "cette fonction".
"On pouvait dire qu'il s'agissait d'un double désastre. Dans le cœur de chacun des sinistrés, même longtemps après, le raz de marée noir et terrifiant déferlait, brisant les digues, et même si personne en parlait, cela restait une réalité".
Culpabilité et découragement, sentiments inconnus jusque là, déferlent dans l'esprit de Yasuo. Il est vivant, oui, mais après ? Tout est à refaire, tout est à reconsidérer. La nature a décidé de faire de lui un autre homme. A lui maintenant de l'assumer.
Kasumiko Murakami écrit un hommage vibrant à "ceux qui restent", ces rescapés du tsunami du 11 mars 2011 qui ont tout perdus et qui ont dus apprendre à vivre autrement. Yasuo et Tokie sont un couple qui affrontent ensemble l'adversité, l'inconnu, tout en luttant intimement contre leur culpabilité et leur nouveau statut de survivant. Le style est clair, limpide ; on ne sombre jamais dans le mélodrame ou l'empathie à outrance. L'auteur recentre l'humain par rapport à un drame inimaginable et met en avant l'essentiel par rapport au matériel.
Et puis après est un texte court, peut-être le plus touchant écrit sur le sujet, car il touche au plus profond le cœur du lecteur.