jeudi 27 novembre 2014

Mauvais calcul, Anders Bodelsen

Ed. Autrement,octobre 2014, traduit du danois par Anne Renon (nouvelle traduction), 375 pages, 20 euros.

Nowhere Man


"Il comprit que sa vie à lui aussi était finie... et qu'il lui faudrait trouver un moyen de continuer malgré tout."
Il suffit d'une mauvaise idée, d'une mauvaise soirée, d'un verre de trop, pour que tout bascule. Mork s'en rend compte trop tard. Lui qui a tout pour être heureux, une famille aimante, un projet de construction et une promotion interne, a cru bon de suivre une bande de jeunes fêtards dans une maison isolée. Très vite, l'ennui le submerge, et il désire quitter les lieux. Pour cela, il emprunte la voiture du propriétaire de la maison, sans savoir qu'elle est vétuste.
Les freins à l'agonie, la vue brouillée par l'alcool, la neige... Tant pis, Mork, trop sûr de lui, prend le volant et au bout d'un moment, au détour d'un chemin, il renverse un cycliste.
Que faire? Notre chauffard est confronté à un dilemme purement égoïste: avouer et en subir les conséquences, ou fuir, se taire et tenter d'oublier qu'il a tué accidentellement un homme?
"Les jeux étaient faits, il avait tué un homme et cela n'était pas pardonnable même à ses propres yeux, mais il avait moralement le droit de se défendre et l'idée que cela pourrait fonctionner lui permettait de continuer à vivre."

Les jours passent, Mork se tranquillise car l'enquête de la police piétine. Pour plus de sûreté, il a changé de lunettes, a laissé pousser ses cheveux, veille à être discret. Mais il suffit qu'une vieille photo de lui  illustre un article de journal à propos de l'usine Autonord où il travaille, pour que tout soit remis à plat. Et si les jeunes gens de la fête l'avaient reconnu?

"Regarde par la fenêtre" lui dit son interlocuteur au téléphone. Apparaît devant ses yeux la vieille voiture à l'origine de tant de nuits blanches, et à côté, son propriétaire, Horstrup, qui lui fait signe. Dès lors, un incroyable bras de fer psychologique s'engage entre les deux hommes. Mork est partagé entre son désir de s'en débarrasser  et la fascination que ce jeune homme sans foi ni loi exerce sur lui. Il n'arrive pas à le haïr, même quand Horstrup s’immisce dans sa vie privée, et sabote ses projets professionnels. Sa force, c'est son absence d'implication:
"Moi je fais ce que je veux parce que tout m'est égal. Toi, par contre, tu n'es pas libre de faire grand chose. Tout ce qui compte à tes yeux est pour moi sans importance. Voilà la différence."
Tuer son ennemi est-il la seule solution. Mais pour tuer, il faut haïr, et il faut être un assassin! Mork refuse de basculer vers le meurtre:
"Comment s'y prendre pour tuer un homme? Il est impossible de tuer un homme. Mais si l'on y est vraiment contraint? Personne n'y est jamais vraiment contraint. Mais néanmoins, si l'on est convaincu que c'est la seule solution..."

Anders Bodelsen décrit avec justesse et sans affect l'évolution psychologique d'un homme qui vit avec un secret trop gros pour lui, et voit son avenir menacé par un individu que rien ne semble atteindre. L'angoisse devient une véritable épée de Damoclès avec laquelle il est contraint de vivre ad vitam aeternam, justement, une telle existence est-elle possible? Effacer les traces, estomper les souvenirs, ne sont que des faux-semblants lui faisant croire pendant quelques temps qu'il est redevenu maître de son avenir. Or, il y a Horstrup qui remet tout en cause, et lui rappelle indéfiniment sa responsabilité.
Mauvais calcul est un thriller psychologique qu'on ne lâche pas tant le lecteur est incapable de deviner quelle sera l'issue du récit. Anne Renon a su trouver les mots justes pour retranscrire toutes les émotions du protagoniste, et distiller l'angoisse jusqu'à son paroxysme.
La seule chose dont on est sûr finalement, c'est qu'on ne voudrait certainement pas être à la place de Mork, coupable et victime à la fois.
Il suffit d'une mauvaise décision, d'un mauvais calcul de probabilités, pour que votre vie bien rangée devienne un enfer.

A (re)découvrir sans hésitation.