jeudi 13 novembre 2014

Marche ou crève, Stephen King (Richard Bachman)

Ed. Le livre de Poche, traduit de l'anglais (USA) par France-Marie Watkins, décembre 2004, 348 pages, 7.1 euros.

"Ils marchaient dans les ténèbres pluvieuses comme des spectres décharnés (...). Ils étaient des morts en marche."


Dans un futur non déterminé mais qui pourrait être terriblement proche, une grande course rassemble chaque année cent volontaires âgés de seize à dix-huit ans pour une longue marche partant du Maine jusqu'à la frontière du Massachusetts, le tout filmé par les caméras de télévision, et soutenue par les citoyens de chaque ville traversée.
Ce concours obéit bien à des règles précises et numérotées, mais chaque participant est d'abord tenu d'en respecter deux, essentielles:
- ne pas ralentir son pas en dessous de 6,5 km/h
- ne pas s'arrêter au-delà de 30 secondes.
Violer une de ces règles vaut un avertissement, et au bout de trois, c'est la mort...

La Grande Course n'est pas une épreuve comme les autres. Ceux qui s'y engagent savent qu'ils vont aller au-bout d'eux-mêmes, explorer des frontières inconnues de leur personnalité. Pour certains engagés, c'est un suicide à retardement, pour d'autres, une volonté de se mesurer et d'accéder à l'âge adulte. En tout cas, les soldats, de part et d'autres de la route, sont là pour les surveiller, les avertir, et enfin les éliminer.

Ray Garraty, champion du Maine ne sait pas trop pour quelles raisons il s'est inscrit. Or, depuis le départ, il n'a qu'une seule idée en tête: marcher et ne jamais s'arrêter. Sauf que Ray n'est pas seul, et il faut collaborer non seulement avec les autres coureurs autour de lui, mais aussi avec la population de curieux venue les soutenir ou les voir mourir. Le principal est en fait de trouver le parfait équilibre entre garder son esprit en alerte et se concentrer pour ne pas être intimidé par les concurrents:
"Il leur arrivait à tous d'être comme ça, avait remarqué Garraty. Le retrait total de tout et de tous ceux qui les environnaient. De tout sauf de la route. Ils étaient hypnotisés par la route comme si c'était une corde raide sur laquelle ils devaient marcher, au-dessus d'un abîme sans fond."

Comment faire abstraction de la fatigue, des chaussures qui tombent en lambeaux, du camarade qui perd pied, et pire encore, des coups de feu des soldats qui annoncent la fin d'un marcheur?
" Un des soldats sauta à terre et traîna le cadavre par les bras. Garraty observait d'un air apathique en se disant que l'horreur finit par lasser. Il y avait surabondance de mort."
Lorsque l'état de veille ressemble à s'y méprendre à l'état de sommeil, nos perceptions ne sont plus les mêmes. Les kilomètres avalées, la perspective d'atteindre les grandes villes et enfin l'autoroute deviennent des objectifs de vie auxquels Ray, son ami Mc Vries et Olson, devenu l'ombre de lui-même, s'accrochent pour ne pas s'arrêter. La folie guette et la foule devient aussi un élément à gérer:
"L'énorme foule s'était un peu dispersée comme ils sortaient du champ des caméras et des micros de la télévision mais elle était toujours là, toujours agglutinée. La foule était venue, maintenant, et elle avait l'intention de rester. (...) Le visage de foule criait, acclamait, mais restait fondamentalement identique."

"Jusqu'où faut-il aller pour se dissocier?" se demande Garraty. Maintenant, chaque coureur banalise la mort, le moment de folie de son voisin, le combat de deux badauds pour une chaussure de coureur abandonnée.... Terminer vivant est le but mais pourquoi? Dès lors, émergent des considérations métaphysiques, philosophiques sur l'intérêt de cette course. Selon Mc Vries:
"Marche ou crève, c'est la morale de cette histoire. Pas plus compliqué. Ce n'est pas une question de force physique, et c'est là que je me suis trompé en m'engageant."
(...)
Pourquoi nous avons fait ça, Garraty? Nous devions avoir perdu la boule.
Je crois qu'il n'y avait aucune espèce de raison.
Nous ne sommes tous que des souris dans une souricière."

Marche ou crève est une large réflexion sur le temps, la vie et la mort. Le temps d'une marche de cinq jours, les corps des candidats subissent en accéléré les aléas du temps et de la vieillesse, au point que quelques coureurs ont leurs cheveux qui blanchissent.
Lire ce roman maintenant nous condamne à faire plus ou moins un rapprochement avec la télé-réalité. Stephen King ne fait que décrire un processus qui est allé jusqu'à la dernière extrémité pour plaire à son public. Jamais il n'est mentionné les raisons intrinsèques de l'existence de cet événement, à part qu'il est devenu un rendez-vous incontournable et apprécié.
La route est la ligne de vie, le fil d'Ariane menant vers la victoire et vous empêchant de sauter dans le fossé pour vous reposer. Elle est aussi la bande d'asphalte hypnotique qui emmène le candidat hors de lui-même, mais aussi le lecteur qui se demande, jusqu'à la dernière ligne, si la victoire n'est pas finalement qu'une illusion.

Un Stephen King à ne pas manquer.