jeudi 28 août 2014

Malabourg, Perrine Leblanc

Ed. Gallimard, collection La Blanche, février 2014, 192 pages, 16.9 euros.


Parfum de meurtre

 


« A Malabourg, c'est toujours la faute des filles. Dans la logique du village, si un pervers s'amuse sous les fenêtres d'une femme, il faut le cacher à papa. Et dans ce village, se confier à une mère qui accourt après avoir entendu un cri ou un bruit de tasse fracassée, c'est s'adresser indirectement au père, le mur doté d'oreilles. »
Dans cette charmante bourgade où toute personne de sexe féminin est classée potentiellement dangereuse, Geneviève a eu à peine le temps de confier son secret à son amie Liliane, la fille du maire : elle est enceinte, et le père est ben plus âgé qu'elle.... Seulement, elle n'a pas eu à supporter l'opprobre des siens, puisqu'un coup bien senti derrière la tête, l'a réduite à néant et a permis à son bourreau de la cacher dans le lac.
La rumeur visait bien le sans domicile fixe local, mais l'idée a fait son temps, puisque ce dernier n'a pas jugé bon de disparaître après son « soi-disant » forfait. Et puis, vint le temps où Liliane fit des rapprochements intéressants et dangereux entre l'identité de l'amant de feu son amie et son père, Léon, « manipulateur professionnel », maire bien établi de Malabourg, « fait de bois comme les femmes sculptées par son fils Sam ».
« Tout était cassé en lui, mais l’attirail encombrant du maire, le masque avec lequel il se présentait aux autres y compris sa famille (…) était lisse, parfaitement fonctionnel. »
Pour faire taire la jeune fille, on a bien trouvé le prétexte de la folie douce, du désarroi adolescent qui désordonne la cohérence de la pensée ; ainsi un séjour en hôpital psychiatrique se justifia, mais à son retour, Liliane, flanquée de son amie de chambrée Maria, connurent le même sort que Geneviève pour être bien sûr que le silence devienne le maître mot.
Sauf que le tueur, cette fois-ci eut un témoin en la personne de Mina, adolescente rebelle de Malabourg au vu des habitants, car adepte de la pratique du silence, et de l'examen des gens :
« La vraie folie c'est le silence des autres. Dans la solitude exemplaire de la mort, on est vraiment fou », avançait Maria avant de mourir. Mina va apprendre le silence contraint, le chantage, la fuite délibérée vers Montréal, pour trouver la force de raconter.

Malabourg aurait pu être un polar en huis clos, habile et tordu, porté par la personnalité ambiguë du maire. Or, l'intrigue se résout dès la première partie du livre pour s'ouvrir vers une trame qui n'a  que peu de rapport avec le contexte du début, si ce n'est les personnages. En effet, Mina, exilée à Montréal, retrouve un ami d'enfance de Malabourg, Alexis,qui avait été secrètement amoureux jadis de Geneviève, et  passait son temps à cultiver des fleurs. De retour d'une formation à Grasse, en France, Alexis a ouvert un magasin florissant dans la grande ville. Leurs retrouvailles sont l'occasion de se remémorer le lieu glauque et interlope de leur enfance.
Dans ce roman, on a l'impression que bien des pistes n'ont pas été exploitées : le personnage de Katia, la tenancière de bar, ex-espionne, celui du vagabond aussi. Vite, vite, vite, il faut trouver le tueur de jeunes filles, pour ensuite passer à un autre contenu beaucoup moins attractif. Malabourg est un peu présenté comme une antichambre des Enfers, où les secrets son bien gardés, mais ensuite, la bourgade ne devient plus qu'un arrière plan assez flou pour disparaître dans les effluves des parfums des fleurs du jeune homme.
Finalement, l'intérêt de l'intrigue s'effiloche au fil des pages, avec quelques sursauts afin que le lecteur ne perde pas pied . Dès lors, s'y dégage une impression de bonnes idées peu exploitées ou carrément avortées, mais qui témoigne de l'imagination débordante, complexe et annonciatrice de bien meilleurs textes, quand la maîtrise sera au rendez-vous.