jeudi 28 août 2014

Dolores Claiborne, Stephen King

Ed. Pocket, traduit de l'anglais (USA) par Dominique Dill, novembre 2012, (réédition), 315 pages, 6.8 euros.

Une vie de m...


Dolores Claiborne est le long monologue d'une femme abîmée par la vie, "esquintée" par son mari selon le terme de sa patronne Vera Donovan, sorte de Tatie Danielle avant l'heure...
"Je jure devant Dieu que Vera Donovan serait ma mort, je l'ai su la première fois que je l'ai vu", dit-elle au policier chargé de prendre son audition. En effet, Dolores est entendue en tant que témoin assisté après la mort étrange de sa patronne. Mais pour la gouvernante, c'est l'occasion unique de tout déballer. Le polcier se substitue un peu au prêtre, la confession commence dans laquelle il n'interviendra jamais. Tout commence trente ans  en arrière, soit au moment de la mort de son mari Joe Saint-Georges...
"J'ai soixante-cinq ans, et j'ai su pendant au moins cinquante de ces années qu'être un humain, ça veut dire surtout faire des choix et payer des factures quand elles sont dues."

Aussi loin qu'elle se souvient, Dolores a toujours travaillé pour l'impitoyable Vera Donovan. C'est elle finalement qui ramenait l'essentiel des revenus du ménage, car son mari Joe est incapable de garder un emploi. Gouvernante, mère de famille de trois enfants, épouse délaissée par un homme rustre, la jeune femme a vite fait le deuil de sa féminité et d'une vie familiale heureuse. Il a fallu qu'une dispute tourne mal (Joe la frappe dans le dos avec une bûche) et que sa fille aînée Selena lui fasse des révélations inavouables à propos de Joe pour que Dolores décide de prendre en main sa vie.

Sur l'île, dans la petite ville de Little Tall, tout le monde se connaît. Alors, lorsque Joe disparaît subitement un jour d’éclipse totale du soleil, on soupçonne forcément Dolores, mais faute de preuves, elle n'a jamais été inquiétée... A demi-mots, Vera lui a indiqué qu'elle avait deviné la vérité et qu'elle avait bien fait, profitant ainsi de l'occasion pour lui faire entrevoir la vérité à propos de la mort de son propre mari. Dès lors, les deux femmes de natures si différentes se retrouvent liées par le secret.

Les années passent, et Vera s'enfonce dans la sénilité. Dolores Claiborne gère tout tant bien que mal, même si dans sa folie, la vieille dame mène la vie dure à sa gouvernante. Elle accepte son sort, se disant qu'elle paye plus ou moins la mort de Joe Saint-George:
"C'était comme si mon œil intérieur s'était libéré de moi et qu'il flottait là-haut, dans le ciel, et me regardais pour voir comment j'allais m'en sortir."
Les enfants ont grandi, sont partis du foyer, et les deux femmes se retrouvent seules avec leurs secrets trop lourd à porter. Quand Vera chute du haut des escaliers et meurt, Dolores est soupçonnée. C'est l'occasion d'avouer quel a été le foutoir de sa vie...

Dolores Claiborne est un thriller à rebours mais c'est surtout une analyse sociologique. A travers le personnage éponyme, on retrouve les fardeaux inhérents de la classe sociale moyenne aux Etats-Unis, qui lutte quotidiennement pour survivre convenablement. Alors oui Dolores est une meurtrière, mais c'est surtout les instincts de survie et de protection d'une mère qui ont guidés son geste. Au fil des pages, l'empathie du lecteur augmente pour cette femme abîmée par la vie et les siens, humiliée aussi par son employeur. On ne peut qu'admirer la force de caractère de cette femme qui, malgré les vicissitudes innombrables, a gardé la tête haute pour lutter.
Jamais on ne ressent le poids du monologue. L'auditoire s'efface au profit de ce récit-vérité à l'allure de confession.