vendredi 13 juin 2014

L'enquête, Philippe Claudel

Ed. Le Livre de Poche, août 2012, 288 pages, 6.9 euros.
 

"Ici, c'est en se bandant les yeux qu'on réussit à voir" 


Philippe Claudel peut se permettre d'écrire un roman allant à contre pied de ce que ses lecteurs ont l'habitude de lire. 
Philippe Claudel peut se permettre d'utiliser l'actualité comme cristallisation de son récit, à savoir la vague de suicides dans une grosse entreprise française. 
Mais ce que Philippe Claudel peut se permettre mais que beaucoup vont lui reprocher c'est peut-être la ressemblance avec d'autres œuvres telles Le Procès de Kafka, la Cantatrice Chauve de Ionesco Ou Tous les Noms de Saramago.
En effet, cette fois-ci, dans une prose toujours aussi limpide, Claudel flirte avec l'absurde. Les personnages sont désincarnés et décrits par leur fonction. Au fur et à mesure du récit, la déshumanisation s'installe, au profit d'un monde étrange où se cristallisent les pires angoisses humaines:
 "l'Enquêteur, en se laissant porter comme un fétu sur le grand courant d'un fleuve, abdiqua. Il renonça pour la première fois de son existence à se penser en tant qu'individu ayant une volonté, le choix de ses actions." 
Les gens que rencontre l'Enquêteur semblent hypnotisés. Lui même, lorsqu'il se retrouve dans sa chambre d'hôtel aux murs mouvants, devient un rat de laboratoire, épié, oui mais par qui? Incarnation de la normalité, l'Enquêteur perd pied peu à peu, submergé par les non-sens de l'Entreprise dans laquelle il doit enquêter et tiraillé par une faim qu'il n'arrive pas à calmer. Il vit un cauchemar éveillé où il devient tour à tour un délinquant, un ami, ou celui qui empêche les choses de tourner en rond...
Le Guide lui dit "un homme désespéré n'a rien à perdre", il ne croyait pas si bien dire. Telle la désincarnation des personnages de la Cantatrice Chauve, l'Enquêteur se désincarne et même s'il se rattache à ce qui lui reste: "je pense donc je suis", le lecteur le retrouve tel un suppliant. 
Il faut lire ce roman comme une curiosité littéraire, un exercice de style ou une métaphore sur la société actuelle et le peu de cas qu'elle fait de l'humain. Si vous cherchez un roman comme vous a habitué précédemment l'auteur, avec une histoire puissante, alors passez votre chemin car vous risquez d'être déçu.
Un très beau exercice de style.