Ed. Folio Gallimard, Traduits de l'espagnol par Albert Benssoussan et Anne-Marie Casès, mais 2013, 8.9 euros, 544 pages
Découvrir Sir Roger Casement
Dans
son dernier roman, Vargas Llosa dresse le portrait d’un homme
exceptionnel méconnu, Sir Roger Casement, qui, pour le compte du Foreign
Office Britannique, fut l’auteur de deux rapports détaillés sur l’état
de la colonisation au Congo et en Amazonie au début du vingtième siècle.
La dénonciation des pratiques barbares des représentants des pays dits
« civilisés » sur les tribus locales va lui faire renoncer à sa Sainte
Trinité personnelle des trois C : Christianisme, Civilisation et
Commerce.
Pour ne pas perdre pied, il va « s’attacher » à sa nationalité
irlandaise comme Thésée au fil d’Ariane. Ainsi, Roger Casement devient
membre des Irish Volunteers et un ardent défenseur d’une Irlande libre,
sans joug britannique.
Au
Congo, il découvrit la corruption morale, "quelque chose qui n'existe
pas chez les animaux, une exclusivité des hommes", le commerce
"asymétrique" façon Léopold II, et enfin "l'horrible pillage",
"l'humanité vertigineuse où des gens qui se disaient chrétiens
torturaient, mutilaient, tuaient des êtres sans défense.
"Le colonialisme
apparaît comme une hydre dont la tête repousse d'un endroit à un autre
du monde".
Ainsi, en visite en Amazonie, Casement découvre un « bis
repetita » du Congo dans l’exploitation des aborigènes par les
Péruviens. De là, son intime conviction d’un « Congo, toujours. Le
Congo, partout. »
Et
pourtant, ce défenseur des droits de l’Homme et du respect de la
dignité humaine fut aussi un personnage très controversé. Varga Llosa
décrit alors un être en prison pour haute trahison contre la couronne
britannique, revenant sur ses actions passées, et reconnaissant ses
erreurs, dont son attachement à l’Allemagne de Bismarck. Cependant, il
restera jusqu’au bout fidèle à ses convictions nationales, et il sera
pendu en 1916.
Après
lecture de ce roman fleuve, on ne peut que constater que les visions
« apocalyptiques » africaines ont eu raison de son équilibre personnel.
Ainsi, la revendication de son identité nationale devient une façon pour
lui de faire face la tête haute à tout ce qu’il a vu ou entendu en
Afrique. Le poète Yeats disait de lui : "Roger Casement est l'Irlandais
le plus universel que j'ai connu. Un vrai citoyen du monde".
Ce ne fut
pas le seul à dénoncer l’exploitation belge au Congo, Joseph Conrad le
fit dans Au cœur des ténèbres
(Flammarion, 1993) et dit : " La colonisation du Congo fut la plus
infâme ruée sur un butin ayant jamais défiguré l'histoire de la
conscience humaine ".
On sort bouleversé et enrichi de cette lecture.