mardi 21 janvier 2014

REGARDS CROISES (3) L'âme de Kôtarô contemplait la mer, Medoruma Shun

Ed Zulma, janvier 2014, traduit du japonais par Myriam Dartois-Ako, Corinne Quentin et Véronique Perrin, 280 pages, 21 euros

Regards croisés

Un livre, deux lectures. En collaboration avec Christine Bini 


Intermède poétique


"Les papillons sont la forme que prennent les âmes des hommes quand elles viennent faire un tour dans ce monde. Et que la façon incertaine dont ils volent avec de fugaces battements d'ailes, c'est aussi la façon dont les âmes passent en ce monde."
Sur l'île d'Okinawa, au Japon, les papillons ont une histoire. Ils sont la preuve de la survie de l'âme après la mort, et surtout de la présence parmi nous de nos défunts. Car, à Okinawa, les paysages paisibles et paradisiaques sont en totale contradiction avec la violence des hommes. Jusqu'en 1972, cette île fut sous administration américaine. Dans ce recueil de six nouvelles, Medorama Shun, parle de cette occupation jamais invisible, lourde de violence latente, à laquelle les habitants ont dû s'habituer.
Dans ce très singulier pays, les croyances et les coutumes sont entretenues, la tradition est tenace.
"Tout s'en va et retourne dans l'au-delà des mers", pensent-ils. Alors, lorsque les défunts sont visibles, ceux qui ont le don de double vue, le sixième sens, ne s'en formalisent pas, ou à peine. C'est un fait, voilà tout. En effet, "même mort, on n'est jamais seul. Il y a toujours quelqu'un de vivant qui pense à vous."

Force est de constater qu'Okinawa est habitée de contrastes: les combats de coqs, la base américaine, les bagarres, n'arrivent pas à troubler l'absolue beauté du lieu:
"La lumière douce du soleil couchant s'étalait de derrière la forêt le long de la rivière, jusqu'au promontoire. Les rayons argentés progressaient lentement sur le ciel d'un bleu pâle et pur. A la surface de l'eau sans une ride de la baie, le faible courant de la rivière ondulait comme un ruban de lumière."
Ainsi, chaque récit est construit sur cette opposition permanent entre l'immuabilité de la beauté de la nature environnante, et la violence des hommes. De plus, se pose en intrasèque la question: l'Au delà est-il meilleur que le monde?
Pourtant, les âmes des défunts vont et viennent sur l'île, capables de chanter ou de contempler la mer...

Medorama Shum, natif de l'île, se rappelle de son enfance. Il fait honneur aux gens simples, aux personnes âgées, au vieux loup solitaire qui deviendra le meilleur ami d'un enfant. Les enfants devenus grands protègent l'âme de leurs parents; parfois les liens du coeur sont plus puissants que ceux du sang.
Et sans cesse, en arrière plan, la rétrocession d'Okinawa au Japon, comme si cet événement était la fin d'une bulle atemporelle, ou au contraire la possibilité de vivre avec ses traditions sans se cacher vraiment.
Aaman, mabui rendent éternel le passage sur Terre des morts et rendent plus doux la vie de ceux qui restent.