Ed. 10/18, juin 2013, 208 pages,7.1 euros
Polar culinaire
Pellegrino Artusi, marchand
d’étoffe, fin gourmet et auteur du fameux « L’art de bien manger » est
attendu au château par la famille Bonaiuti di Roccapendente. Cet auteur
de plus de soixante-dix ans intrigue : « le fait est que cet homme ne laissait personne indifférent
» selon les dires, attise la curiosité de cette famille noble, pétrie
de préjugés et de principes, qui, en cette année 1895, peuvent parfois
êtres jugés décalés. En fait, Artusi se déplace au manoir du baron pour
répondre non seulement à l’invitation de ce dernier mais aussi à la
demande faite par lui de vérifier si sa demeure peut devenir un lieu de
villégiature pour vacanciers fortunés. Mais ça, personne ne le sait…
« Le choléra, le typhus, les inondations
et autres colères de Dieu peuvent bien survenir, tant qu’on déjeune à
midi et qu’on dîne à sept heures, le monde est un endroit où il n’y a
pas de préoccupation digne de vous ôter le sommeil ».
Alors, lorsque le corps de Téodoro, le
majordome, est retrouvé dans une chambre close, seul Artusi n’en fait
pas grand cas. Par contre cet événement révèle les personnalités de
chacun des hôtes. De la grand-mère Spéranza à la lucidité blasée, au
petit fils Lepo, débauché et mauvais, « obligé de payer la compagnie qu’il fréquente », on sent une famille aux multiples failles, dont le vernis noble s’écaille à la première occasion.
« Je n’ai nul besoin des histoires d’une famille noble en pleine décadence. Il me suffit de regarder autour de moi
», dit la doyenne à sa fille. Elle a raison, la décadence est le
mot-clé : dettes de jeux, prostitution, jalousie, chaque travers devient
un mobile possible pour expliquer le meurtre du majordome, surtout
depuis qu’on a essayé aussi d’attenter aux jours du baron lui-même !
Malgré l’impunité que croit leur
conférer leur rang, malgré l’hostilité de ses hôtes, Artusi aide le
délégué à la sécurité publique à mener son enquête.
Les interrogatoires, les réflexions, les
déductions se succèdent, ponctués d’extraits du journal intime de
l’écrivain mettant en valeur ses propres arguments.
Ce roman policier propose une unité de
lieu et une unité de temps assez cohérente par rapport au genre.
L’enquête proposée est tout à fait formelle et la trame ressemble à s’y
méprendre à celle d’un roman d’Agatha Christie. Même la fin n’y déroge
pas, avec le rassemblement dans une pièce de tous les protagonistes pour
confondre le meurtrier.
Par contre, le roman est écrit sur un
ton ironique, proposant même une prose en complet décalage avec celle de
l’époque. En effet, le narrateur omniscient n’hésite pas à s’en prendre
directement aux personnages, et décrit avec beaucoup d’humour les
pensées intimes de chacun. Ainsi, on obtient un ensemble incisif et
subtil.
Enfin, l’auteur égratigne le monde de la noblesse en lui faisant perdre toute contenance : « le
problème, quand on a été élevé de manière dogmatique, réside en ce que,
en général, sitôt sorti des situations connues et définies, dans
lesquelles on est parfaitement à l’aise, on perd la tête ».
C’est drôle, c’est vif, servi par une
intrigue policière cohérente et plaisante et par des personnages aux
mille facettes. Laissons d’ailleurs le dernier mot au personnage
principal, Pellegrino Artusi :
« Depuis que le monde est monde, la paix se fait à table ! »