lundi 6 janvier 2014

Le dernier stade de la soif, Frédéric Exley

Ed. 10/18, janvier 2013, 454 pages, 8.4 euros

Mémoires fictifs


Malgré les points communs, malgré les homonymies, l'auteur a écrit les mémoires fictifs d'un homme dont la vie se résume à "l'incapacité de ne pas boire."
Certes, les moments de sobriété existent, mais ils furent provoquer par des internements à Avalon Valley où, traité par insuline ou électrochocs, le narrateur se demande vraiment quel est le pire entre la boisson et la thérapie...
Le Fred Exley du livre ne s'aime pas et n'aime donc pas ce qu'il fait, ce qu'il décide, ce qu'il dit. Paradoxalement, il est doté d'un ego surdimensionné, sûrement hérité du père, si bien qu'il ne conçoit pas une vie réussie sans "ce besoin d'entendre [son] nom chuchoté avec révérence."
Alors, il multiplie les petits boulots alimentaires, persuadé que le succès viendra avec l'écriture. Or, pour cela, il faut écrire, et surtout trouver LE sujet, l'angle d'attaque. Trop tiraillé par ses démons, Fred boit:
"Au bout d'un moment, je finis par comprendre que je passais mon temps à contempler le monde à travers le bulbe bordeaux d'un verre de vin."
Il boit parce qu'il ne supporte pas le monde qui l'entoure. La sobriété est pour lui une menace:
"Au bout d'un mois d'abstinence, je voyais le monde avec une telle acuité que cela en devenait insoutenable, j'étais maladivement clairvoyant avec des aperçus de l'univers dont je me détournais immédiatement."
Très vite, le boulot manque; seule sa passion des Giants le sauve "de l'holocauste" de sa vie. Ainsi, il passe plus de six mois avachi sur le canapé maternel à refaire le monde devant la télé, tout en y trouvant un geste grandiose dans cette attitude:
"Dans un pays où le mouvement est la plus grande des vertus, où le claquement rapide des talons sur le bitume est érigé en sainte valeur, rester allongé pendant six mois relève du geste grandiose, rebelle et édifiant."
Fred est un parasite. Même son épouse Patience et la naissance de leurs jumeaux ne le sauvera pas de son destin d'alcoolique. Finalement n'est-ce pas un excellent sujet de fiction?
Il faut lire ce livre à petite dose pour en tirer et apprécier "la substantifique moelle". En effet, Frédéric Exley est un personnage intelligent, alcoolique, assommant, énervant. Il incarne en fait un pan de tous les personnages qu'il rencontre (et il sont légions). Il se dit lui-même "un ivrogne, un rêveur, un être faible, un fou", mais il observe et analyse sa société avec une acuité déroutante, tout comme son propre personnage.
De ce fait, le dernier stade de la soif n'est-il pas, au delà du delirium tremens, un instant de compréhension absolue de tout?