mardi 24 décembre 2013

Une partie de chasse, Agnès Desarthe


 Ed. Points Seuil, août 2013, 162 pages, 5.7 euros

Le roman s'ouvre sur un monologue surprenant: celui d'un jeune lapin, caché dans son terrier, qui refuse sa condition d' animal à la courte espérance de vie et qui veut, coûte que coûte, lutter contre la loi de son espèce et vieillir. Il sort à l'air libre et rencontre quatre chasseurs.
"Trois hommes. Il est le quatrième. C'est une partie de chasse. Rigolade, bière, sang chaud, odeurs de chiens, de cuir, d'acier, de bois."
Tristan est ce quatrième homme. Il connaît peu ses compagnons d'un jour. Il a accepté l'invitation à la demande de son épouse Emma qui désespère de ne pas le voir s'intégrer aux habitants du village. C'est vrai que Tristan est un contemplatif. "Il se sent à la fois plein et vide. Plein de sensations et vide de mots. Il lui manque un accès qu'il se représente comme une passerelle." Attention, ce n'est ni du dédain ni de la condescendance, simplement, habitué depuis l'âge de six ans à remplir des tâches d'adulte, il a fait du silence et de l'observation des compagnons de route.
Les voilà partis à quatre, à l'aube, dans la campagne, à l'affût. Tristan tire sans le vouloir sur un lapin. Il cache sa proie encore vivante dans sa gibecière, se refusant d'admettre qu'il a sacrifié l'animal à l'autel de l'intégration par ses semblables. Ils avancent, les chiens devant, l'arme chargée, mais très vite l'épopée tourne court: un des quatre chasseurs, Dumestre, tombe dans un trou. Tristan reste près de lui, tandis que les deux autres partent chercher les secours. Or, dans le même temps, la météo s'en mêle, "une catastrophe surnaturelle "s'annonce, "car dans quelques heures le haut aura rejoint le bas, le bas remplacera le haut", et le chaos va prendre le dessus."
Réfugiés dans un terrier de fortune, Dumestre et Tristan vont parler ou plutôt, Tristan va se souvenir de son enfance, de son adolescence et de la mort de sa mère avec qui il vivait en vase clos, petit serviteur d'une femme issue de la haute société qui avait fait de son lit son dernier logement.  Pendant que la parole se libère, les éléments se déchainent et emportent tout.
Au sein d'une nature hostile, à un moment clé de leur existence, les personnages tentent de faire le point sur ce qu'ils ont vécu. Après le déluge, ils savent que plus rien ne sera comme avant; une page de leur histoire sera tournée. Pour Tristan, ce sera la page de l'enfance. Il lui faudra affronter désormais les aléas de l'âge adulte avec ce qu'ils comportent d'inquiétudes et de compromissions.
Agnès Desarthe considère le jeune lapin chassé au début du roman comme le fil d'Ariane de son récit. En entretenant un dialogue imaginaire avec son bourreau (Tristan), il pose un véritable questionnement sur la notion d'espèce et d'intégration. Ainsi, ce qui pourrait paraître pour un procédé lourd  ou maladroit, s'avère être une idée pertinente.  Ainsi, l'être humain n'est qu'un animal parmi d'autres, sûrement plus fragile que d'autres espèces de par sa nudité, mais aussi de par ses passions et son passé. Le bruit et la fureur de l'ouragan qui touche le village et la campagne environnante ne sont que la métaphore des bouleversements irréversibles qui se jouent dans l'esprit du personnage central, un jeune homme en train de vieillir.