Ed. Points Seuil, août 2013, 162 pages, 5.7 euros
Le
roman s'ouvre sur un monologue surprenant: celui d'un jeune lapin,
caché dans son terrier, qui refuse sa condition d' animal à la courte
espérance de vie et qui veut, coûte que coûte, lutter contre la loi de
son espèce et vieillir. Il sort à l'air libre et rencontre quatre
chasseurs.
"Trois hommes. Il est le quatrième.
C'est une partie de chasse. Rigolade, bière, sang chaud, odeurs de
chiens, de cuir, d'acier, de bois."
Tristan est ce quatrième homme. Il
connaît peu ses compagnons d'un jour. Il a accepté l'invitation à la
demande de son épouse Emma qui désespère de ne pas le voir s'intégrer
aux habitants du village. C'est vrai que Tristan est un contemplatif. "Il
se sent à la fois plein et vide. Plein de sensations et vide de mots.
Il lui manque un accès qu'il se représente comme une passerelle."
Attention, ce n'est ni du dédain ni de la condescendance, simplement,
habitué depuis l'âge de six ans à remplir des tâches d'adulte, il a fait
du silence et de l'observation des compagnons de route.
Les voilà partis à quatre, à
l'aube, dans la campagne, à l'affût. Tristan tire sans le vouloir sur un
lapin. Il cache sa proie encore vivante dans sa gibecière, se refusant
d'admettre qu'il a sacrifié l'animal à l'autel de l'intégration par ses
semblables. Ils avancent, les chiens devant, l'arme chargée, mais très
vite l'épopée tourne court: un des quatre chasseurs, Dumestre, tombe
dans un trou. Tristan reste près de lui, tandis que les deux autres
partent chercher les secours. Or, dans le même temps, la météo s'en
mêle, "une catastrophe surnaturelle "s'annonce, "car dans quelques heures le haut aura rejoint le bas, le bas remplacera le haut", et le chaos va prendre le dessus."
Réfugiés dans un terrier de fortune,
Dumestre et Tristan vont parler ou plutôt, Tristan va se souvenir de son
enfance, de son adolescence et de la mort de sa mère avec qui il vivait
en vase clos, petit serviteur d'une femme issue de la haute société qui
avait fait de son lit son dernier logement. Pendant que la parole se
libère, les éléments se déchainent et emportent tout.
Au sein d'une nature hostile, à un
moment clé de leur existence, les personnages tentent de faire le point
sur ce qu'ils ont vécu. Après le déluge, ils savent que plus rien ne
sera comme avant; une page de leur histoire sera tournée. Pour Tristan,
ce sera la page de l'enfance. Il lui faudra affronter désormais les
aléas de l'âge adulte avec ce qu'ils comportent d'inquiétudes et de
compromissions.
Agnès Desarthe considère le jeune lapin
chassé au début du roman comme le fil d'Ariane de son récit. En
entretenant un dialogue imaginaire avec son bourreau (Tristan), il pose
un véritable questionnement sur la notion d'espèce et d'intégration.
Ainsi, ce qui pourrait paraître pour un procédé lourd ou maladroit,
s'avère être une idée pertinente. Ainsi, l'être humain n'est qu'un
animal parmi d'autres, sûrement plus fragile que d'autres espèces de par
sa nudité, mais aussi de par ses passions et son passé. Le bruit et la
fureur de l'ouragan qui touche le village et la campagne environnante ne
sont que la métaphore des bouleversements irréversibles qui se jouent
dans l'esprit du personnage central, un jeune homme en train de
vieillir.