Ed. Albin Michel, octobre 2013, 304 pages, 22 euros
Retour à l'essentiel
Chroniqueur influent et célèbre, Morris a tout: la richesse, une épouse indépendante, trois enfants, et la facilité de mettre en fiction sa vie privée sur le papier afin d'engranger de plus en plus de lecteurs.
Or, tout bascule le jour où on lui apprend le décès de son fils Martin en Afghanistan. Morris n'arrive pas à faire le deuil tant il culpabilise sur le fait, lui le pacifiste convaincu, d'avoir conseillé à son garçon révolté de s'engager dans l'armée. Depuis, Morris n'arrive plus à sortir la tête de l'eau: sa femme Lucille le quitte, ses filles l'évitent, et le journal qui l'emploie l'invite à prendre un congé longue durée. Ainsi, notre protagoniste, livré à lui-même, entreprend un travail laborieux d'introspection. Lui qui croyait tout savoir sur la vie, et vivait de certitudes, se remet en cause, aidé par la lecture de Cicéron et Platon. En effet, ces philosophes lui permettent de considérer la vie avec "un oeil désarmé": être riche et célèbre est une fausse belle vie; la vraie belle vie est d'être sage et vertueux...
La perte de son enfant le hante; il cherche en vain des coupables, mais surtout, il a peur d'oublier ce qu'était Martin:
"Il y avait des moments dans ses journées où il était coupé dans son élan pour son incapacité à se rappeler correctement Martin, à le garder au premier plan, à le retenir dans son esprit et dans son cœur et, quand il échouait, quand il s'apercevait qu'il avait été, l'esprit d'un instant, joyeusement distrait, il se sentait coupable et repoussait sa joie."
En fait, Morris refuse de vivre normalement, refuse que la vie reprenne le dessus sur le deuil. En correspondance avec une certaine Ursula qui, elle aussi, a perdu son garçon en Afghanistan, il avoue qu'il est un homme "à l'arrêt":
"Je suis un survivant. Je vais persister. Je vais continuer à penser et je vais continuer à agir",
car seule l'action et les projets lui permettront d'avancer. Ce sont les rouages de la mécanique du bonheur.
Malgré le thème principal, on ne sombre jamais dans la sinistrose. En effet, l'entourage de Morris est bien plus positif que lui, bien moins tourné vers le nombrilisme qu'il incarne, et pourtant eux aussi, tentent de tourner la page.
Les dialogues sont "le nerf central" du roman, et donnent de la dimension à l'ensemble. Les échanges et les rencontres permettent à Morris de reconsidérer sa culpabilité, et d'entrevoir une porte de sortie. Finalement, ce père est juste un homme qui a besoin 'être rassuré quant à son rôle de père et d'époux.
La mécanique du bonheur s'attarde sur un moment critique de la vie, et avec beaucoup d'ironie, explique que la complexité humaine est sans limites.