jeudi 12 décembre 2013

Un enfant de Dieu, Cormac McCarthy

Ed. Points Seuil, septembre 2008, 169 pages, 6.3 euros


Paru pour la première fois en 1974, « un enfant de Dieu » reprend des thèmes déjà engagés dans « l’Obscurité du dehors » (Seuil,1998) : les laissés-pour-compte, la pauvreté, l’incroyable égoïsme du genre humain, engendrant ce que la société « bien pensante » appelle des monstres. Lester Ballard aurait pu avoir un parcours normal, or, cet « enfant de Dieu » a subi très tôt le départ de sa mère, puis, à l’âge de douze ans,  a décroché son père de sa corde de pendu. Plus personne ne s’est alors demandé comment le gosse grandissait. Certes, il est devenu une figure locale, car tout le monde connaît Lester ou tout au moins sa dégaine et sa démarche d’animal en fuite le long de la route, mais lorsqu’il s’agit de l’expulser de ce qu’il fut autrefois la maison familiale, l’intérêt mercantile prime sur l’affect. Alors Lester se trouve un logis de fortune dans une maison abandonnée. Ses contacts avec autrui s’étiolent au fur et à mesure qu’il sombre dans un monologue compréhensible de lui seul. Survivre devient le maître mot de sa logique de vie. Avant de sombrer, Lester avait gagné des peluches au stand de tir de la foire locale. Ultime symbole d’un enfant perdu, il trimballe ses ours comme autant de trophées de ce qu’il était « avant ». En grandissant, sa sexualité se limite au voyeurisme de couples s’ébattant dans des voitures. Mais lorsqu’il ramène chez lui une femme trouvée morte, Lester bascule définitivement…
Lire un roman de Cormac McCarthy c’est savoir d’avance que la lecture va être âpre et difficile tant la noirceur qu’il décrit peut être grande. Technicien de la description, il décrit la lente transformation d’un être humain en « homme sauvage » abandonné par une société qui le craint. L’auteur va droit au but : ni fioriture, ni métaphore, juste un style dépouillé allant droit à l’essentiel pour susciter l’interrogation du lecteur. Tout comme dans l’Obscurité du dehors, puis plus tard la Route (Prix Pulitzer 2007), on retrouve la thématique du bébé, hautement symbolique. Il y a toujours une scène où un bébé devient le personnage central. De sa survie ou non dépend de la capacité de ceux qui l’entourent à témoigner d’un visage encore humain. Et Lester y est confronté. Il échoue. Ainsi ce roman, bizarrement édité chez Point dans la catégorie « Roman noir » est à inscrire dans la lignée des deux romans précédemment cités. Seul Suttree, qui pourtant aborde les thèmes de la pauvreté et de la survie, est plus compatissant sur la nature humaine. Finalement Cormac McCarthy est l’écrivain de la déchéance au sens biblique du terme.