Paru
pour la première fois en 1974, « un enfant de Dieu » reprend des thèmes
déjà engagés dans « l’Obscurité du dehors » (Seuil,1998) : les
laissés-pour-compte, la pauvreté, l’incroyable égoïsme du genre humain,
engendrant ce que la société « bien pensante » appelle des monstres.
Lester Ballard aurait pu avoir un parcours normal, or, cet « enfant de
Dieu » a subi très tôt le départ de sa mère, puis, à l’âge de douze
ans, a décroché son père de sa corde de pendu. Plus personne ne s’est
alors demandé comment le gosse grandissait. Certes, il est devenu une
figure locale, car tout le monde connaît Lester ou tout au moins sa
dégaine et sa démarche d’animal en fuite le long de la route, mais
lorsqu’il s’agit de l’expulser de ce qu’il fut autrefois la maison
familiale, l’intérêt mercantile prime sur l’affect. Alors Lester se
trouve un logis de fortune dans une maison abandonnée. Ses contacts avec
autrui s’étiolent au fur et à mesure qu’il sombre dans un monologue
compréhensible de lui seul. Survivre devient le maître mot de sa logique
de vie. Avant de sombrer, Lester avait gagné des peluches au stand de
tir de la foire locale. Ultime symbole d’un enfant perdu, il trimballe
ses ours comme autant de trophées de ce qu’il était « avant ». En
grandissant, sa sexualité se limite au voyeurisme de couples s’ébattant
dans des voitures. Mais lorsqu’il ramène chez lui une femme trouvée
morte, Lester bascule définitivement…
Lire
un roman de Cormac McCarthy c’est savoir d’avance que la lecture va
être âpre et difficile tant la noirceur qu’il décrit peut être grande.
Technicien de la description, il décrit la lente transformation d’un
être humain en « homme sauvage » abandonné par une société qui le
craint. L’auteur va droit au but : ni fioriture, ni métaphore, juste un
style dépouillé allant droit à l’essentiel pour susciter l’interrogation
du lecteur. Tout comme dans l’Obscurité du dehors, puis plus tard la
Route (Prix Pulitzer 2007), on retrouve la thématique du bébé, hautement
symbolique. Il y a toujours une scène où un bébé devient le personnage
central. De sa survie ou non dépend de la capacité de ceux qui
l’entourent à témoigner d’un visage encore humain. Et Lester y est
confronté. Il échoue. Ainsi ce roman, bizarrement édité chez Point dans
la catégorie « Roman noir » est à inscrire dans la lignée des deux
romans précédemment cités. Seul Suttree, qui pourtant aborde les thèmes
de la pauvreté et de la survie, est plus compatissant sur la nature
humaine. Finalement Cormac McCarthy est l’écrivain de la déchéance au
sens biblique du terme.