Editions Le
Vengeur Masqué, collection Fenêtres, septembre
2011, 30 pages, 14.2 euros
Plus jamais ça!
"Jules
est daltonien: entre le rouge et le vert, il se mélange les pinceaux. Un sacré
méli-mélo qui provoque des quiproquos."
Dans le monde de Jules, ne pas percevoir le monde comme
les autres est source de rejet. Les méchantes langues disent même que "si le monde va de travers, c'est parce
qu'il y a des gens comme lui qui voient à l'envers", c'est dire!
Pourtant, Jules est un garçon normal finalement; il est
capable d'être vert de rage, de rougir comme une tomate, mais aussi, il aspire
à voir la vie en rose. Ca tombe bien, "l'homme
aux grands et beaux discours" promet, s'il arrive au pouvoir," une terre sans vert ni rouge",
une terre où la vie justement sera rose. Les gens le croient et s'en remettent
à lui, hélas.
Première mesure du nouvel homme fort du monde de Jules:
se débarrasser des daltoniens! Pour cela, ils sont envoyés en Daltonie, monde
en noir et blanc dans des wagons à bestiaux: "Le voyage est long, sans confort, l'arrivée sinistre…"
Là, Jules travaille dans une mine de charbon, loin de tout.
Pendant ce temps, "pour
le faire marcher au pas et l'avoir à sa botte", l'homme aux grands et
beaux discours transforme le monde en couleur kaki. La guerre, comme la
nouvelle couleur uniforme, se répand. On est loin de la vie en rose tant
espérée.
Heureusement, la Résistance s'organise. "Laissez nos couleurs en paix"
tonne-t-elle et elle affronte celui qui n'a pas tenu ses promesses! Pour Jules,
c'est la fin de l'isolement. Au fond de sa cellule, il a eu une peur bleue,
mais maintenant, c'est fini, il peut rentrer chez lui.
Or, le monde du garçon n'est plus qu' "un affreux barbouillage à perte de vue" dans lequel "restent les traces de [la] folie"
de l'ancien chef d'Etat.
On nous avait promis "une métaphore poétique et émouvante de l'histoire de la
déportation", promesse tenue. Sans utiliser le champ lexical du thème,
le texte, par la métaphore filée des couleurs, emmène le lecteur vers une
compréhension plus large et historique. Selon le schéma: la différence/le rejet
de cette différence/ la guerre/la Résistance/la victoire, il interpelle le
lecteur sur la nécessité d'être vigilant pour empêcher l'indicible de réapparaître.
"Des
mots pour rire
d'autres
pour médire
poudre
aux yeux
wagons
à la queue leu leu
la
suite on la connaît…"
L'Histoire est un éternel recommencement; le monde est
une poudrière dont il faut sans cesse éteindre les mèches.
Ce superbe album doit aussi sa réussite aux
illustrations de Rémi Saillard, aux motifs géométriques, aux lignes droites,
aux couleurs en rapport avec le texte. Ses personnages, souvent de profil, sont
expressifs. Enfin il utilise des symboles appropriés pour faire ressortir, sans
en avoir l'air, la gravité du sujet traité.
L'envers du décor est un album réussi, intelligent,
très juste, appelant au "plus jamais ça".
A partir de 8 ans
A partir de 8 ans