"Faut pas penser, faut pas."
Prix du Livre Inter 2007
1789,1848,1851, autant de bouleversements politiques dont les résonances n'atteignent que très modérément la population provinciale, surtout celle de l'Ouest dont les terres agricoles appartiennent encore aux nobles.
Le domaine de Perrières appartient au Baron de l'Aubépine. Monsieur est baron mais il se réclame républicain, n'hésitant pas à se rendre à Paris lorsque "ça chauffe", même si au passage, il oublie de payer les gages de ses employés. Issu d'une vieille famille de propriétaires terriens, il fut d'abord un fils rejeté par un père bourru, et un époux cocufié. Lorsqu'il hérite du château, il consent à garder le garde-chasse Lambert, et son épouse Eugénie, alors qu'il déteste les chiens et la chasse.
Très vite, le couple d'employés se rend compte que leur patron est un électron libre: "les barons ont toujours vécu selon leur fantaisie, et celui-là a de la fantaisie à l'envers de tous les barons." En effet, il a des idées politiques en contradiction avec les intérêts de sa classe sociale, mais surtout, il a des phases d'euphorie, suivies de longues périodes d'abattement ou d'enfermement. Les choses se corsent lorsque le baron ramène des jeunes filles "de rien" au domaine et les poursuit, la nuit, dans les couloirs de sa demeure.
Lambert est un homme droit, conscient de ses devoirs, mais c'est surtout un honnête père de famille qui voit d'un mauvais œil les lubies du patron lorsque ce dernier commence à rôder autour de sa fille Magdeleine. Or, au lendemain des révolutions, dans une république agonisante et un second empire qui condamne et exile à tout bout de champ, il hésite à dénoncer le baron lorsqu'il se rend compte qu'il est un assassin.
"Une guerre intérieure" débute entre les deux hommes; Lambert se tait : "on le tient, s'il nous fiche dehors, je le menace de la guillotine. Il va nous soigner comme jamais." Le baron de l'Aubépine est un homme malade dont le point d'orgue sera son amitié inventée avec Victor Hugo...
Lambert et sa famille sont-ils des "bourreaux domestiques"? Séquestration, chantage, secret; pris à froid cela y ressemble hors contexte. Or, lorsqu'on entre dans le récit, le lecteur se rend compte que le problème est bien plus complexe: lutte de classe larvée, mœurs campagnardes bien établies dans lesquelles le propriétaire doit être un chasseur, un patron, bref un homme de terrain, et non un coureur de jupons à moitié fou, pétri d'idées politiques contradictoires, capable de rester enfermé pendant des jours....Lambert perd en fait ses repères, s'en construit d'autres, réussit à s'en contenter jusqu'au jour où les rôles s'inversent: le baron se repose trop sur lui...
S'installe alors un climat étouffant porté par le huis clos des murs du château, puis brisé par les vastes hectares sauvages du domaine.
"Ouest" est un livre intrigant donnant un point de vue original sur la déliquescence et la remise en cause des habitudes sociales d'avant la Révolution.