lundi 9 décembre 2013

Les séparées, Kéthévane Davrichewy

Ed. 10/18, juin 2013, 163 pages, 6.6 euros.


Victor Hugo disait « la vie n’est qu’une longue perte » : une perte de temps, d’amour, de sentiments. Alice et Cécile sont amies depuis la maternelle. Le temps, la jalousie, les carrières professionnelles ont eu raison de leur amitié. A la quarantaine, chacune de leur côté, séparées parce que « leur échange n ‘a plus de sens », elles font le bilan de cette relation autrefois fusionnelle. Alice est issue d’un milieu modeste, mais uni. Très vite, elle noue une forte complicité avec Cécile, dont les parents, bourgeois, sont séparés et s’occupent peu d’elle. Seul son demi frère Philippe reste un référent. Dès lors, la famille de son amie devient un peu la sienne par procuration. Les années passent, les jeunes filles grandissent, et « les méfaits du temps courent, cimentent, perdurent. » Chacune apprend à vivre sans l’autre. De plus, Philippe devient un obstacle : Alice l’aime et Cécile éprouve pour lui un sentiment quasi incestueux. A défaut de dialoguer, la jalousie et les non-dits vont devenir le quotidien des deux femmes. Les mariages, les enfants, le travail ne feront que creuser un fossé qui deviendra vite béant : « la haine pernicieuse avait laissé place à un sentiment tiède qu’ [Alice] ne nommait pas mais qui la taraudait parfois. » 
D’un échange téléphonique quotidien, leur relation s’est transformée en silence. Isolée, à un moment clé de leur existence,  chacune tente de comprendre les raisons de ce gâchis.

Dans ce roman, l’auteur fait « une étude clinique » de l’érosion de l’amitié. En optant pour l’alternance de voix dans les chapitres, elle joue le jeu de l’impartialité en confrontant deux points de vue radicalement différents sur le même sujet. N’empêche que le lecteur comprend vite qu’un homme est à l’origine de la mésentente…

Le thème est un peu mièvre, maintes fois évoqué en littérature. Ce pendant, on se laisse emporter jusqu’à la fin sans réel déplaisir, malgré quelques scènes prévisibles et une fin trop précipitée.  Kéthévane Davrichewy décrit avec justesse les émotions, expose sans rancœurs les incompréhensions, les regrets et les remords « des deux camps ». Ce n’est que l’histoire d’une amitié qui a fait long feu, et dont le temps incarne à lui seul un facteur essentiel. Cécile et Alice ont vécu une relation d’amitié fusionnelle et unique qu’elles n’ont pas su gérer en vieillissant, en la laissant être parasitée par les aléas de la vie, au lieu de la protéger comme un trésor. Une lectrice féminine se retrouvera sans doute dans ses amitiés passées ou présentes, car seul un auteur féminin pouvait décrire avec autant de tact la fin d’une relation amicale et la transformation des sentiments.