Ed. 10/18, juin 2013, 163 pages, 6.6 euros.
Victor
Hugo disait « la vie n’est qu’une longue perte » : une perte de temps,
d’amour, de sentiments. Alice et Cécile sont amies depuis la maternelle.
Le temps, la jalousie, les carrières professionnelles ont eu raison de
leur amitié. A la quarantaine, chacune de leur côté, séparées parce que
« leur échange n ‘a plus de sens », elles font le bilan de cette
relation autrefois fusionnelle. Alice est issue d’un milieu modeste,
mais uni. Très vite, elle noue une forte complicité avec Cécile, dont
les parents, bourgeois, sont séparés et s’occupent peu d’elle. Seul son
demi frère Philippe reste un référent. Dès lors, la famille de son amie
devient un peu la sienne par procuration. Les années passent, les jeunes
filles grandissent, et « les méfaits du temps courent, cimentent,
perdurent. » Chacune apprend à vivre sans l’autre. De plus, Philippe
devient un obstacle : Alice l’aime et Cécile éprouve pour lui un
sentiment quasi incestueux. A défaut de dialoguer, la jalousie et les
non-dits vont devenir le quotidien des deux femmes. Les mariages, les
enfants, le travail ne feront que creuser un fossé qui deviendra vite
béant : « la haine pernicieuse avait laissé place à un sentiment tiède
qu’ [Alice] ne nommait pas mais qui la taraudait parfois. »
D’un échange
téléphonique quotidien, leur relation s’est transformée en silence.
Isolée, à un moment clé de leur existence, chacune tente de comprendre
les raisons de ce gâchis.
Dans
ce roman, l’auteur fait « une étude clinique » de l’érosion de
l’amitié. En optant pour l’alternance de voix dans les chapitres, elle
joue le jeu de l’impartialité en confrontant deux points de vue
radicalement différents sur le même sujet. N’empêche que le lecteur
comprend vite qu’un homme est à l’origine de la mésentente…
Le thème
est un peu mièvre, maintes fois évoqué en littérature. Ce pendant, on
se laisse emporter jusqu’à la fin sans réel déplaisir, malgré quelques
scènes prévisibles et une fin trop précipitée. Kéthévane Davrichewy
décrit avec justesse les émotions, expose sans rancœurs les
incompréhensions, les regrets et les remords « des deux camps ». Ce
n’est que l’histoire d’une amitié qui a fait long feu, et dont le temps
incarne à lui seul un facteur essentiel. Cécile et Alice ont vécu une
relation d’amitié fusionnelle et unique qu’elles n’ont pas su gérer en
vieillissant, en la laissant être parasitée par les aléas de la vie, au
lieu de la protéger comme un trésor. Une lectrice féminine se retrouvera
sans doute dans ses amitiés passées ou présentes, car seul un auteur
féminin pouvait décrire avec autant de tact la fin d’une relation
amicale et la transformation des sentiments.