lundi 9 décembre 2013

Aime la guerre!, de Paulina Dalmayer

Ed. Fayard, août 2013, 700 pages, 24 euros

Aimer en Afghanistan 

 

Le titre interpelle, heurte le lecteur, et résonne comme un paradoxe. Comment peut-on aimer la guerre, cet état de fait qui ravage des vies, des états, et réduit à néant tous les espoirs d'un peuple?
Cette injonction sur la couverture, c'est Hanna, la narratrice du récit qui la lance. Journaliste, elle se rend en Afghanistan malgré les dangers, flairant les "bons coups" journalistiques. Là, elle rencontre dans un bar un certain Robert, français lui aussi. Elle comprend vite que son nouveau compagnon est un mercenaire, mais pas de ceux répondant à la définition donnée jadis par Machiavel "toujours désunis, ambitieux, sans discipline et peu fidèles, braves contre les amis, lâches en présence de l'ennemi, n'ayant ni crainte de dieu, ni bonne foi envers les hommes."Robert profite de la situation générale pour ce faire de l'argent: trafic d'alcool pour les bars à soldat, trafic d'objets précieux, bref tout ce qui peut rapporter en peu de temps, quitte à s'associer avec la pire crapule du coin, Zarbi le mafieux.
Hanna découvre un pays qui a toujours connu la guerre. Elle qui rêvait d'être "emportée par le puissant fantasme d'un ailleurs radicalement différent" de tout ce qu'elle avait connu jusqu'alors, est conquise. Mais aimer l'Afghanistan, c'est aimer aussi sa guerre:
"C'est probablement aussi pour sa paranoïa endémique et son délire belliqueux que je me suis mise à aimer l'Afghanistan. D'ailleurs, y existe-t-il d'autres attractions?"
Attraction, le mot est quelque peu provocateur. Peut-on l'utiliser pour tout ce qui s'y passe, pour tous les morts ou les manquements aux libertés fondamentales de l'être humain?
Or, Hanna a vite compris que sans cette foutue guerre, son histoire d'amour avec Robert n'existerait pas. Et depuis peu de temps, un autre homme vient perturber son quotidien assez chaotique au demeurant. Il s'appelle Bastien, il semble être aussi un mercenaire, mais surtout il s'intéresse de près au couple. Une étrange amitié va lier Hanna à cet homme, au point de risquer de perdre le château de sable construit laborieusement dans ce pays détruit.

Aime la guerre! est un récit qui peut heurter le lecteur par les propos tenus. Nous qui sommes gentiment installés dans notre canapé, les réflexions d'Hanna peuvent nous sembler bien choquantes! Simplement, il faut les restituer dans leur contexte global:
"Oui, j'aurais adoré détester cette guerre, pourtant je l'aime autant que je la déteste(...) la passion pour la guerre est une émotion, un mouvement du corps, une sensibilité inavouable et même plus qu'inavouable - incommunicable - dans un monde convaincu de détester la violence."
Hanna aime la guerre car elle aime Robert et que sans la guerre, elle n'aurait pas rencontré Robert. Elle fait un transfert de sentiments, au point de réduire les combats à un artéfact et non un "horresco referens".
Enfin, au-delà de cette histoire d'amour, la narratrice nous fait bien des révélations sur la vie quotidienne en Afghanistan, la condition des femmes, et les enjeux politiques qui s'y jouent. Bien écrit, parfois répétitif, la narratrice porte à bout de bras un sujet difficilement défendable, mais traité avec un minimum de recul et une bonne dose d'honnêteté.