Ed. Christian Bourgois, août 2012, 296 pages, 17 euros
Van est mort, renversé par une
voiture conduite par son épouse. Pourtant, l’acte ne fut pas prémédité.
Il n’est pas non plus le fruit de la colère, de la haine ou de la
vengeance. C’est simplement la conséquence d’une rencontre X à un moment
T.
Lou et Van étaient mariés depuis vingt
ans. Elle, la fille de bonne famille reniée par une mère raciste depuis
qu’elle a osé se marier avec un asiatique, lui, le correcteur de
manuscrits auprès des éditeurs, véritable « ayatollah du purisme » en
début de carrière, mais de plus en plus laxiste… De ses origines, il
n’en parlait jamais, mais se plaisait à dire qu’il ne se sentait « ni
vietnamien, ni français, mais toujours dans une position ambigüe ».
Ensemble, ils ont eu Laure, aujourd’hui
adolescente rebelle comme on l’est à cet âge où on se cherche, en
conflit récurrent avec son père : « il voulait que je sois à son image,
une dévoreuse de classiques, qui écrit dans un style châtié, ne trébuche
pas sur l’imparfait du subjonctif, fait des citations textuelles ».
Cette famille comme il en existe tant,
traverse les années avec son lot de soucis, de heurts, de joies aussi,
mais toujours soudée. Or, un jour, Van reçoit une lettre d’une certaine
Ulma, et cet envoi provoque en lui un véritable « tsunami » émotionnel.
« Il lui fallait du nouveau, quand
notre vie conjugale n’engendrait que du déjà vu. Il lui fallait de
l’insolite, qui l’aurait régénéré. La lettre d’Ulma, coup de tonnerre
dans un ciel apparemment serein, le contraignait à sortir de sa
coquille ».
Qui est cette Ulma ? Ancienne maîtresse, amie, membre de sa famille ? Personne ne sait, mais Lou constate les dégâts :
« Sans Ulma, et le cortège de
perturbations qu’elle charriait derrière elle, nous aurions calfaté les
voies d’eau et nous aurions tracé notre route malgré les aléas. Elle,
apparue, Van se détachait de moi. Je ne pouvais rien contre cette vague
venue des profondeurs, ni contre l’usure des sentiments de Van pour
moi ».
Maintenant Van n’est plus. Ces quatre
personnages (dont le trépassé) expliquent l’un après l’autre leur
histoire, leurs relations, leurs sentiments, et dénouent au fur et à
mesure le fil de l’intrigue. Le roman, construit en quatre parties, au cœur de la nuit / aube / midi / crépuscule,
sonde l’intimité et donne corps à la relation entre Ulma et Van. Ce
dernier, autrefois « ni prosaïque, ni chimérique » devient un « rêveur
lunaire » au contact de la jeune femme. Lou et Laure reconnaissent cette
influence mais n’ont pas su la jauger au bon moment.
Toute en délicatesse, adaptant sa prose à
la voix qui se confie, Linda Lê offre le récit d’une histoire d’amour
peu banale aux résonances familiales et lointaines, le rassemblement
« de deux fragments d’un même vase qui s’ajustaient merveilleusement
l’un à l’autre », et dont le lecteur termine la lecture avec le
sentiment d’avoir lu de très belles pages.