lundi 30 décembre 2013

Lame de fond, Linda Lê

Ed. Christian Bourgois, août 2012, 296 pages, 17 euros

Van est mort, renversé par une voiture conduite par son épouse. Pourtant, l’acte ne fut pas prémédité. Il n’est pas non plus le fruit de la colère, de la haine ou de la vengeance. C’est simplement la conséquence d’une rencontre X à un moment T.
Lou et Van étaient mariés depuis vingt ans. Elle, la fille de bonne famille reniée par une mère raciste depuis qu’elle a osé se marier avec un asiatique, lui, le correcteur de manuscrits auprès des éditeurs, véritable « ayatollah du purisme » en début de carrière, mais de plus en plus laxiste… De ses origines, il n’en parlait jamais, mais se plaisait à dire qu’il ne se sentait « ni vietnamien, ni français, mais toujours dans une position ambigüe ».
Ensemble, ils ont eu Laure, aujourd’hui adolescente rebelle comme on l’est à cet âge où on se cherche, en conflit récurrent avec son père : « il voulait que je sois à son image, une dévoreuse de classiques, qui écrit dans un style châtié, ne trébuche pas sur l’imparfait du subjonctif, fait des citations textuelles ».
Cette famille comme il en existe tant, traverse les années avec son lot de soucis, de heurts, de joies aussi, mais toujours  soudée. Or, un jour, Van reçoit une lettre d’une certaine Ulma, et cet envoi provoque en lui un véritable « tsunami » émotionnel.
« Il lui fallait du nouveau, quand notre vie conjugale n’engendrait que du déjà vu. Il lui fallait de l’insolite, qui l’aurait régénéré. La lettre d’Ulma, coup de tonnerre dans un ciel apparemment serein, le contraignait à sortir de sa coquille ».
Qui est cette Ulma ? Ancienne maîtresse, amie, membre de sa famille ? Personne ne sait, mais Lou constate les dégâts :
« Sans Ulma, et le cortège de perturbations qu’elle charriait derrière elle, nous aurions calfaté les voies d’eau et nous aurions tracé notre route malgré les aléas. Elle, apparue, Van se détachait de moi. Je ne pouvais rien contre cette vague venue des profondeurs, ni contre l’usure des sentiments de Van pour moi ».
Maintenant Van n’est plus. Ces quatre personnages (dont le trépassé) expliquent l’un après l’autre leur histoire, leurs relations, leurs sentiments, et dénouent au fur et à mesure le fil de l’intrigue. Le roman, construit en quatre parties, au cœur de la nuit / aube / midi / crépuscule, sonde l’intimité et donne corps à la relation entre Ulma et Van. Ce dernier, autrefois « ni prosaïque, ni chimérique » devient un « rêveur lunaire » au contact de la jeune femme. Lou et Laure reconnaissent cette influence mais n’ont pas su la jauger au bon moment.
Toute en délicatesse, adaptant sa prose à la voix qui se confie, Linda Lê offre le récit d’une histoire d’amour peu banale aux résonances familiales et lointaines, le rassemblement « de deux fragments d’un même vase qui s’ajustaient merveilleusement l’un à l’autre », et dont le lecteur termine la lecture avec le sentiment d’avoir lu de très belles pages.