Ed. Albin Michel, août 2011, 300 pages, 22.3 euros
Jonas,
le narrateur, est en pleine crise existentielle : son mariage avec
Angela est un échec, et, depuis le décès de son père immigré éthiopien,
le questionnement sur ses racines refait surface. « Ayant grandi dans
l’ombre de l’accent suraigu et de la grammaire bancale de [ses]
parents », il considère son diplôme de littérature anglaise et son
statut de professeur comme un succès personnel et la preuve que la
réussite est accessible à tous. Or, depuis quelque temps, il se sent
étranger dans son propre pays. A force de lui demander quelles sont ses
origines, ses élèves ont forgé en lui la conviction que, bien qu’il soit
né sur le sol américain, il ne l’est pas totalement.
Marié uniquement
pour « camoufler les faiblesses mises à nu dans leur relation », Jonas
se voit reprocher par son épouse son mutisme et sa neutralité à toute
épreuve. En effet, depuis tout petit, Jonas a appris à se faire
oublier ; il s’est forgé une carapace face aux disputes incessantes de
ses parents Yossef et Mariam, qui, séparés pendant trois ans, n’ont pas
réussi à reconstruire une vie de couple digne de ce nom :
« les disputes
naissaient de leur propre force, naturelle, autonome et n’obéissaient
qu’à leurs propres règles, à leurs propres normes ».
Alors, pour
avancer, en guise « d’autothérapie », Jonas décide de raconter le
périple familial, sauf qu’il l’étaye de détails précis mais faux, et
surtout il force le trait de chaque personnage afin de donner une
dimension tragique à l’ensemble.
Ce
choix est surtout un choix salvateur : « seule la fiction me permettait
de m’évader assez longtemps de moi-même pour me sentir pleinement à
l’aise ».
Il
utilise ainsi « les fantasmes éculés » de l’américain moyen concernant
l’immigration et l’Afrique, pour offrir à son auditoire subjugué (ses
élèves) un récit profond où son père, modeste fermier éthiopien qui
rêvait d’Occident, devint un immigré « bien sous tous rapports » au lieu
du père brutal et indifférent qu’il a connu. De cette invention, Jonas
trouve peu à peu l’apaisement…
Au delà
de la couleur de peau, la question de l’identité et des racines
persiste, devenant parfois si obsédante qu’elle occulte le quotidien et
plonge celui qui se la pose dans des affres de souffrances
professionnelles et affectives. Mengestu offre un roman intelligent,
contemporain, avec un point de vue unique, tout cela servi par une prose
à la fois « lisible » et étrangement profonde sur la difficulté de
communiquer et d’accepter son identité.