mardi 31 décembre 2013

Ce qu'on peut lire dans l'air, Dinaw Mengestu

 Ed. Albin Michel, août 2011, 300 pages, 22.3 euros

Jonas, le narrateur, est en pleine crise existentielle : son mariage avec Angela est un échec, et, depuis le décès de son père immigré éthiopien, le questionnement sur ses racines refait surface. « Ayant grandi dans l’ombre de l’accent suraigu et de la grammaire bancale de [ses] parents », il considère son diplôme de littérature anglaise et son statut de professeur comme un succès personnel et la preuve que la réussite est accessible à tous. Or, depuis quelque temps, il se sent étranger dans son propre pays. A force de lui demander quelles sont ses origines, ses élèves ont forgé en lui la conviction que, bien qu’il soit né sur le sol américain, il ne l’est pas totalement. 
Marié uniquement pour « camoufler les faiblesses mises à nu dans leur relation », Jonas se voit reprocher par son épouse son mutisme et sa neutralité à toute épreuve. En effet, depuis tout petit, Jonas a appris à se faire oublier ; il s’est forgé une carapace face aux disputes incessantes de ses parents Yossef et Mariam, qui, séparés pendant trois ans, n’ont pas réussi à reconstruire une vie de couple digne de ce nom :
 « les disputes naissaient de leur propre force, naturelle, autonome et n’obéissaient qu’à leurs propres règles, à leurs propres normes ». 
Alors, pour avancer, en guise « d’autothérapie », Jonas décide de raconter le périple familial, sauf qu’il l’étaye de détails précis mais faux, et surtout il force le trait de chaque personnage afin de donner une dimension tragique à l’ensemble.

Ce choix est surtout un choix salvateur : « seule la fiction me permettait de m’évader assez longtemps de moi-même pour me sentir pleinement à l’aise ».
Il utilise ainsi « les fantasmes éculés » de l’américain moyen concernant l’immigration et l’Afrique, pour offrir à son auditoire subjugué (ses élèves) un récit profond où son père, modeste fermier éthiopien qui rêvait d’Occident, devint un immigré « bien sous tous rapports » au lieu du père brutal et indifférent qu’il a connu. De cette invention, Jonas trouve peu à peu l’apaisement…

Au delà de la couleur de peau, la question de l’identité et des racines persiste, devenant parfois si obsédante qu’elle occulte le quotidien et plonge celui qui se la pose dans des affres de souffrances professionnelles et affectives. Mengestu offre un roman intelligent, contemporain, avec un point de vue unique, tout cela servi par une prose à la fois « lisible » et étrangement profonde sur la difficulté de communiquer et d’accepter son identité.