Ed. Du Chemin de Fer, 2010, 55 pages, illustrations de Ronan Barrot, 14 euros
Mais
pourquoi Elodie Cordou a-t-elle disparu, se demande le narrateur, ami
de toujours et surtout, le dernier à l’avoir rencontrée ?
Elodie est la beauté faite femme : « une
sorte de grâce naturelle qui réside dans sa douceur et se dégage de
toute sa personnalité et son charme indéfinissable est aussi mystérieux
que celui d’une musique, comme l’éclat même d’une beauté simple et sans
apprêt ». Cette beauté cache un caractère entier, sans concession, « un tempérament fougueux et combatif », « aux réserves d’énergie inépuisables
». Dès lors, il est difficile de croire à un suicide. Il faut chercher
une explication ailleurs, le seul problème c’est que tout ce que le
narrateur sait est de l’ordre de l’anecdotique, du rien, en fait.
Issue d’une famille de notables, cette dernière voyait d’un mauvais œil son goût immodéré pour la peinture considérée comme « une folie salvatrice et, de toutes les folies, la plus folle
». Prêts à tout pour conserver leur image, ils n’ont pas hésité à
véhiculer sur Elodie des rumeurs de folie, de dérèglement mental,
propices à expliquer le fait qu’elle se soit toujours sentie
« aimantée » par la peinture :
« Ses dérèglements
supplémentaires à l’extrême trahissaient bien chez elle un dérèglement
de l’esprit, voire un déséquilibre mental qu’il convenait non seulement
de stigmatiser mais auquel il ne serait peut être pas vain de songer à
porter remède de la façon la plus radicale qui soit, dans l’intérêt
général et si l’on voulait assurer la suprématie des coffres-forts sur
les versatiles rêveries de son tempérament romanesque et frondeur à la
fois ».
Elodie Cordou folle à lier ? Le
narrateur n’y croit pas non plus. Par contre, il sait qu’elle portait le
mensonge en horreur : « elle ignore le mensonge ; Elodie Cordou ignorait jusqu’à l’étymologie du mot mensonge ». Alors, il pense qu’elle a fui une famille trop pesante et des rumeurs extravagantes. Etant l’antithèse d’« un mouton résigné que l’on mène par le licou à l’abattoir », Elodie Cordou se cache peut-être, profitant pleinement de sa passion dévorante.
Finalement, on ne sait rien. Ce rien est
le dernier mot de ce superbe texte dont les toiles de Ronan Barrot
donnent une connotation noire et rouge. Les visages saisis par
l’angoisse ou le calme, la suspicion ou le désarroi, sont autant de
portraits possibles d’Elodie Cordou à jamais insaisissable qui a choisi
le retrait du monde plutôt que d’affronter la méchanceté de ses
semblables. Pierre Autin-Grenier a écrit un récit à la résonance
étrangement surréaliste dans le choix de son personnage. Il y a du Nadjachez Elodie.