jeudi 7 novembre 2013

Mapuche, Caryl Férey

Ed. Gallimard, collection Série Noire, avril 2012, 464 pages, 19.9 euros

Éprouvant 

(Prix du meilleur Polar français, magazine Lire)

 
C'est une double découverte: celle d'un auteur connu que de nom, celle d'un genre totalement inconnu, le roman noir. Il en reste une lecture éprouvante tant par la grandiloquence du style (parfois), que par les détails crus et sordides des faits. De ce fait, pour éviter l'asphyxie littéraire, force est de constater qu'il a fallu "sauter" deux-trois pages...
L'entrée dans le roman ne fut pas une chose facile: le passé douloureux de l'Argentine couplé à la débâcle du pays au début du millénaire n'est pas (pour moi) un sujet tentant. Cependant, très vite, la nervosité du style, et la force des personnages en présence ont eu raison de la persévérance: on entre pleinement dans l'intrigue et on y prend goût.
Jana est une Mapuche, une indienne dont la communauté fut dépossédée autrefois et qui vit désormais démunie de tout. Avec sa copine Paula, elle tente de retrouver un certain Luz disparu mystérieusement. Très vite, elle va croiser le chemin de Ruben, détective privé et survivant de "la junte" militaire de 1976. Tous deux vont s'apercevoir que la disparition du prostitué transsexuel cache des exactions bien plus honteuses mêlant des gens en vue.
L'auteur se sert de l'histoire du pays pour enfoncer un peu plus le sordide de l'intrigue. Nous avons droit à des descriptions de scènes de torture, mais aussi à une visite guidée du Buenos Aires moderne: bidonvilles, gamins des rues, prostitution...bref, rien de bien reluisant.
Détentions illégales, tortures étaient pratiquées pour obtenir des informations et "faire souffrir l'imagination des vivants"; l'auteur utilise le même concept en les décrivant pour "faire souffrir" l'imagination de ses lecteurs. N'empêche, l'intrigue reste cohérente, sans temps mort, portée par Ruben et Jana dont la rage augmente au fur et à mesure.
Le seul bémol tient dans le style un peu pompeux:
"Buenos Aires n'était plus qu'une vieille dame emmurée dans ses souvenirs comptant ses derniers bijoux dans le morne Atlantique qui ne la regardait plus."
On s'y fait, mais par moment certaines tournures restent agaçantes.

"Mapuche" est une descente aux enfers à l'état pur dans un pays en proie à ses démons passés, car "un pays sans vérité est un pays sans mémoire."