Ed. Albin Michel, janvier 2013, 283 p. 19 €
A
Budapest, chez les Mandy, on s'appelle Imre de père en fils, sauf Pal
qui n'a pas eu ce privilège, et personne ne veut dire pourquoi.
Chez les Mandy, on vit dans la petite
maison de bois construite jadis par l'arrière-grand-père sur un terrain
vague, sauf que maintenant il abrite la gare de Nyugati, que la petite
maison est encerclée par les rails, et que le jardin sert de dépotoir
aux voyageurs.
Chez les Mandy enfin, il y a bien des
femmes qui jouent le rôle de mère, épouse, ou fille, mais elles ne
résistent pas longtemps…
Le pilier de cette famille, c'est le
grand-père, Imre, un taiseux qui a vécu les bouleversements politiques
de son pays de manière intime et violente :" ne pas avoir vécu la
guerre, constituait une frontière inamovible entre sa génération et
celle de ses parents, celle du grand-père", dit à son propos son
petit fils Imre (lui aussi!). Lorsqu'on lui demande pourquoi son fils
s'appelle Pal et non pas Imre comme lui, il se borne à dire qu'il
ressemble à un poisson au sang froid, et qu'"il est le fils de sa mère et de la tristesse".
De cet environnement bien morne et
assez étriqué, Imre le petit-fils tire une vision réduite du monde. Le
terrain de jeux, c'est la gare et ses entrepôts, même s'il perçoit
confusément qu'ils constituent "un Autre inquiétant et féroce qui tentait de les envahir".
Son seul ami, c'est Zsolt, avec qui il arpente aussi les rues de la
capitale hongroise. Côté filles, personne ne se donne la peine de lui
expliquer les choses de la vie. Il vénère sa sœur, et plus tard, ressent
ses premiers émois physiques en fantasmant sur une vieille dame
croisée aux bains publics. Bref, rien de bien exaltant ! Cependant, Imre
grandit avec la Hongrie. Cette terre qui n'intéresse personne, sans
mer, ni montagne, uniformément plate, victime collatérale des
soubresauts de l'Histoire, va s'ouvrir peu à peu à l'ère occidentale.
Ainsi, jeune homme, Imre va trouver un emploi dans un sex-shop, commerce
qui du temps de l'Armée rouge relevait de l'acte de collaboration et
qui, sous l'ère capitaliste a acquis le statut de simple "attraction touristique susceptible de rapporter beaucoup d'argent."
Non seulement, ce travail lui permet de prendre son indépendance, mais
aussi, lui apporte des réponses aux questions "existentielles" qu'il se
posait sur le sexe dit faible. De plus en plus sûr de lui, il va oser
aborder Kerstin qui deviendra plus tard son épouse…
Alice Zeniter a choisi la narration
omnisciente pour raconter l'histoire de cette famille "encroûtée" par
leurs silences, leurs chagrins et leurs tourments. Le choix de la saga
familiale n'est pas bien original - ce thème est beaucoup exploité -,
néanmoins son traitement de l'intrigue est intéressant. Les secrets de
la famille se dissipent à coups de petits retours en arrière au détour
d'un chapitre, et Budapest, par les descriptions faites et son influence
certaine sur l'évolution de chacun des protagonistes, est considérée
par l'auteur comme un personnage à part entière.
Enfin, chez Imre, le petit-fils, on
retrouve le personnage lisse par excellence, facilement dominé mais
néanmoins attachant. Il y a du Charles Bovary dans le traitement de cet
anti-héros, persuadé que la fatalité joue un rôle déterminant dans sa
vie et sa relation aux femmes. Chez les Mandy, les femmes sont une
énigme ; Agnès, la sœur est l'incarnation fascinante du renoncement.
Sombre Dimanche est un roman plaisant,
bien écrit, qui se veut être aussi un hommage "populaire" comme la
chanson des années trente écrite par un hongrois, dont le titre est
issu.