Refuser la mort
"On a probablement tort de penser qu'il peut y avoir une limite à l'horreur que peut éprouver l'esprit humain. Au contraire, il semble qu'à mesure que l'on s'enfonce plus profondément dans les ténèbres de l'épouvante, une espèce d'effet exponentiel entre en jeu".Cette phrase incarne la dynamique de ce roman en exposant fait après fait cette "espèce d'effet exponentiel."
La famille Creed a acheté une maison à Ludlow, petite ville du Maine, dont le terrain est délimité à l'arrière par un bois et devant par une route départementale sur laquelle de gros camions semblent tenter des records de vitesse. Médecin de formation, Louis se sent à la fois "déraciné et transplanté" par ce déménagement, mais sa nouvelle amitié avec Jud, le voisin d'en face, contribue à effacer ses appréhensions.
Très vite, tout ce petit monde s'habitue: Ellie va à l'école, Gage grandit et Rachel ne voit pas passer les journées. Et pourtant, lors d'une promenade à l'arrière de leur terrain, Jud leur fait découvrir le "simetierre" des animaux. "Ces tombes, ces tombes avec leurs cercles presque druidiques" et disposés en spirale perturbent. Ellie se pose des questions sur la mort, Rachel est confrontée à des souvenirs douloureux, quant à Louis, il devient sujet à d'étranges réactions: "un pressentiment horrible s'abattit sur lui avec tant de force qu'il se pétrifia sur place". Bref, l'endroit semble inquiétant, et l'immense tas de bois mort préfigure "la limite à ne jamais dépasser", la barrière derrière laquelle le pouvoir qu'on pressent sur les lieux prend un caractère inimaginable.
A la mort de Church, le chat de la petite fille, Louis croit bien faire en suivant Jud au delà du tas de bois afin de l'enterrer en territoire des indiens Micmac. Or, lorsque le lendemain, il voit revenir l'animal à la maison, il comprend que le pouvoir en question est "le retour à la vie"... Alors si un chat peut ressusciter qu'en est-il d'un être humain?
Quand le chagrin et la détresse de la perte d'un être cher vous submergent , nous sommes prêts à tout pour revenir en arrière, arrêter le temps, ou dans le cas de Louis, courir plus vite après son petit garçon... "Ce n'est pas la bêtise qui fait agir, c'est l'excès de douleur". Le roman démontre qu'il existe des moments où la raison n'a plus sa place même chez celui où d'habitude le rationnel l'emporte sur tout.
Simetierre est le roman d'une fuite en avant, du refus de la mort, du "Grand Vide", quitte à en payer les dommages collatéraux. Limiter ce roman à une banale histoire de résurrection ou de zombi serait réduire à coup sûr le sens profond qu'à voulu donner le romancier à ce livre.