jeudi 17 octobre 2013

Petite soeur, mon amour, Joyce Carol Oates

  Ed. Points Seuil, traduit de l'anglais (USA) par Claude Seban, octobre 2011, 734 pages, 8.9 euros

Comme une note en bas de page...

L'auteur s'inspire d'un véritable fait divers survenu en 1996 aux Etats-Unis. Souvenez vous de la Baby Miss, Jon Benet Ramsey, découverte assassinée le lendemain de Noël dans la chaufferie de sa maison. On n'a jamais su qui lui avait fait du mal.

 Prof de littérature à l'Université de Princeton, Joyce Carol Oates est aussi une "boulimique" de l'écriture. Ses romans les plus connus sont "Blonde", biographie romancée de la vie de Marilyn Monroe, "les chutes", pris Femina étranger. C'est une spécialiste de l'analyse des mœurs américaines, et notamment de la classe huppée, qui sous couvert de strass et de paillettes, cache de lourds secrets inavouables...

 La mort d'un enfant est toujours traumatisante dans une famille. Et lorsque cet enfant meurt dans des circonstances inexplicables, on tente de se reconstruire avec le poids des interrogations restées sans réponse, et les secrets de famille. Car, la famille de la petite Bliss en a des secrets...Sous l'apparence d'un couple modèle et aimant, Bix et Bentsey Rampike, les parents, apparaissent comme des adultes limite hystériques, égoïstes, et n'hésitant pas à mettre leur progéniture sous psychotropes pour mieux les contrôler. Bliss, à quatre ans, montre de sérieuses prédispositions au patinage artistique. La mère s'en empare et projette sur sa fille tout ce qu'elle n'a pas pu vivre dans son enfance. En arriviste prête à tout, elle transforme sa petite poupée en produit marketing, quitte à oublier son aîné. Quant au père, il est constamment absent pour raisons professionnelles ou sexuelles! Or, il ne faut pas oublier Skyler, l'aîné....C'est lui le narrateur du livre; le roman apparaît comme un manuscrit écrit par Skyler dans lequel il raconte la vie avec sa soeur Bliss championne de patinage, et la vie après sa disparition. Remplie de notes et de bas de pages, cette écriture lui sert de thérapie car son existence s'est arrêtée à neuf ans un matin de janvier. Depuis, éloigné de ses parents, il survit dans des maisons médicalisées, et toujours dépendant aux psychotropes. Au delà de l'intrigue policière et des secrets familiaux, l'auteur dénonce ces gens bien sous tous rapports, très soucieux de leur image et qui, une fois la porte de leur immense maison fermée, deviennent des personnes dangereuses qui laissent libres cours à leurs faiblesses. Le problème c'est que dans ce roman, ce sont les enfants qui trinquent...On en vient à se demander si Bliss n'est pas mieux là où elle est plutôt qu'avec ses parents... Skyler, lui, est détruit psychologiquement (physiquement aussi d'ailleurs). Il est aussi important qu'une note en bas de page qu'on est libre qu'on est libre de passer outre...La lecture n'est pas facile car elle apparaît comme un rassemblement de notes éparses, de souvenirs, de réflexions isolées, mais en arrière plan la logique est implacable et "tout le monde en prend pour son grade": médias, psy, police, religion , et surtout les valeurs américaines de la réussite à tout prix. Décidément Joyce Carol Oates est passée maître dans l'analyse de la famille américaine: elle gratte, elle gratte jusqu'à l'os et en dégage "la substantifique moelle". Un livre effarant, extrême et très réaliste, hélas.