Ed. Points Seuil, traduit de l'anglais (USA) par Claude Seban, octobre 2011, 734 pages, 8.9 euros
Comme une note en bas de page...
Prof
de littérature à l'Université de Princeton, Joyce Carol Oates est aussi
une "boulimique" de l'écriture. Ses romans les plus connus sont
"Blonde", biographie romancée de la vie de Marilyn Monroe, "les chutes",
pris Femina étranger. C'est une spécialiste de l'analyse des mœurs
américaines, et notamment de la classe huppée, qui sous couvert de
strass et de paillettes, cache de lourds secrets inavouables...
La
mort d'un enfant est toujours traumatisante dans une famille. Et
lorsque cet enfant meurt dans des circonstances inexplicables, on tente
de se reconstruire avec le poids des interrogations restées sans
réponse, et les secrets de famille. Car, la famille de la petite Bliss
en a des secrets...Sous l'apparence d'un couple modèle et aimant, Bix et
Bentsey Rampike, les parents, apparaissent comme des adultes limite
hystériques, égoïstes, et n'hésitant pas à mettre leur progéniture sous
psychotropes pour mieux les contrôler. Bliss, à quatre ans, montre de
sérieuses prédispositions au patinage artistique. La mère s'en empare et
projette sur sa fille tout ce qu'elle n'a pas pu vivre dans son
enfance. En arriviste prête à tout, elle transforme sa petite poupée en
produit marketing, quitte à oublier son aîné. Quant au père, il est
constamment absent pour raisons professionnelles ou sexuelles! Or, il ne
faut pas oublier Skyler, l'aîné....C'est lui le narrateur du livre; le
roman apparaît comme un manuscrit écrit par Skyler dans lequel il
raconte la vie avec sa soeur Bliss championne de patinage, et la vie
après sa disparition. Remplie de notes et de bas de pages, cette
écriture lui sert de thérapie car son existence s'est arrêtée à neuf ans
un matin de janvier. Depuis, éloigné de ses parents, il survit dans des
maisons médicalisées, et toujours dépendant aux psychotropes. Au delà
de l'intrigue policière et des secrets familiaux, l'auteur dénonce ces
gens bien sous tous rapports, très soucieux de leur image et qui, une
fois la porte de leur immense maison fermée, deviennent des personnes
dangereuses qui laissent libres cours à leurs faiblesses. Le problème
c'est que dans ce roman, ce sont les enfants qui trinquent...On en vient
à se demander si Bliss n'est pas mieux là où elle est plutôt qu'avec
ses parents... Skyler, lui, est détruit psychologiquement (physiquement
aussi d'ailleurs). Il est aussi important qu'une note en bas de page
qu'on est libre qu'on est libre de passer outre...La lecture n'est pas
facile car elle apparaît comme un rassemblement de notes éparses, de
souvenirs, de réflexions isolées, mais en arrière plan la logique est
implacable et "tout le monde en prend pour son grade": médias, psy,
police, religion , et surtout les valeurs américaines de la réussite à
tout prix. Décidément Joyce Carol Oates est passée maître dans l'analyse
de la famille américaine: elle gratte, elle gratte jusqu'à l'os et en
dégage "la substantifique moelle". Un livre effarant, extrême et très
réaliste, hélas.