Ed Le Livre de Poche, mai 2006, 664 pages, 7.6 euros
Quand on gratte derrière le luxe et la richesse, ce n'est pas beau à voir!
Lorsqu'on
décide de lire ce roman, il faut prendre son temps, car l'auteur n'est
pas de ceux qui possède un style capable de traiter un sujet en deux
cents pages. Au contraire, JC Oates est passée maître dans la
psychologie de ses personnages. Ça tombe bien car "Hudson River" en fait
son sujet essentiel sans pour autant devenir un roman psychologique. Le
point de départ est le décès d'un homme, un certain Adam Berendt,
figure locale de Salthill sur Hudson, obscur sculpteur de son état mais
aimé de tous ses voisins riches, très riches, surtout des femmes. Sa
mort devient un prétexte, un point de départ pour que cette communauté
commence à se poser les vraies questions sur le sens de leurs vies.
Alors qu'en filigrane les personnages se demandent qui était
véritablement Adam, les caractères se dévoilent.Certes, chacun est
différent, mais tous sont rongés par un sentiment de désœuvrement,
d'inutilité, qui peut parfois aboutir au véritable dégoût de soi.
Camille, Abigail, Gussie, toutes amoureuses en secret d'Adam, "pètent un
plomb" lorsque leur mentor décède. Elles incarnent "certaines dignes
épouses de Salthill, des femmes riches ravagées par la solitude comme
par le désir sexuel, affligées d'un besoin compulsif de parler aussi
physique qu'un tic, pourvues de maris mystérieusement absents et
d'enfants adultes qui les avaient déçues." Bref, elles ont tout pour
être heureuses, et elles ne le sont pas. Du côté des époux, ce n'est pas
mieux. Ce sont des hommes rongés par la crise de la cinquantaine et par
une libido galopante. Soit ils divorcent et se remarient avec une jeune
femme, soit ils trompent leur épouse. Mais tous ont le sentiment
d'avoir raté leur vie et d'être passés à côté de l'éducation de leurs
enfants ados ou adultes. Vous aurez compris que ce roman est très riche
et d'une grande finesse psychologique. Oates a réussi à donner corps au
désœuvrement en faisant une véritable analyse des habitants d'un
village riche où
tout le monde se connaît, où tout le monde se soutient et se critique
hypocritement. Habilement, Adam Berendt devient le fil conducteur du
récit, et finalement le personnage le plus équilibré malgré les zones
d'ombre qu'il a laissés. A sa grande amie Marina de reprendre ce
flambeau....Hudson River est une satire sociale féroce et brillante sur
les gens riches, et le pire c'est qu'on n' arrive même pas à les
plaindre, tellement leurs soucis paraissent illusoires et si mal
proportionnés. En conclusion, un grand moment de lecture, comme souvent
chez cet auteur.