Ed. Folio Gallimard, avril 2012, 256 pages, 6.6 euros
Ce qui est singulier dans ce roman, c'est qu'il se divise sans le vouloir
en deux parties bien distinctes. La première fait de Maria une héroïne
malgré elle, survivant seule dans sa ferme depuis le départ de son père
au front."La faim, le froid et la solitude, pensait-elle, ne sont pas
mes ennemis. Ils sont comme moi les victimes d'une situation qui n'a pas
encore révélé son nom. Je ne peux pas leur en vouloir, car ce sont des
camarades d'infortune qui n'ont rien contre moi."Jusqu'au jour où des
policiers viennent chez elle pour réquisitionner ses biens....Elle est
sauvée de son dénuement par le capitaine Louyre, en mission dans ce
secteur agricole de l'Allemagne en perdition. Le cas de la jeune fille
"acharnée à vivre en dépit de tout" le perturbe, la découverte d'un
corps calciné dans la grange aussi.Dès lors, Louyre décide de mener une
enquête au détriment de l'avis de ses hommes: qu'est ce un homme mort
alors que des milliers meurent tous les jours à cause de la guerre? Mais
Maria a rompu la routine et l'ennui de cet homme soldat malgré lui: "il
constata qu'une étreinte imperceptible avait cédé à l'ennui et à la
crainte diffuse de ces nuits sans étoiles qui se succédaient." Ainsi, la
seconde partie du roman devient imperceptiblement un face à face entre
le capitaine et les notables de la ville (maire, prêtre, psychiatre du
centre) qui connaissent peut-être Maria et les raisons pour lesquelles
le centre de repos, gros fournisseur d'emplois, a fermé subitement..Il
déchiffre les silences, les regards, les rictus et les fait parler en
leur faisant croire qu'il sait tout. Il hait ces habitants dont le
"désarroi (est) semblable à celui du violeur juste après qu'il a
accompli son acte, quand vidé de son désir criminel, celui-ci perd son
sens."Parler sera un moyen pour eux de laver leur conscience...ce
dernier roman de Marc Dugain pâtit parfois d'un manque de rythme et
d'une certaine confusion dans l'enchaînement des faits.Maria promue
héroïne en début de récit, s'efface peu à peu au profit d'une intrigue
assez convenue sur les agissements d'une pseudo clinique de repos
pendant la Seconde Guerre Mondiale. Sur fond d'eugénisme et
d'extermination systématique, l'idée de départ perd de sa substance et
surtout j'ai eu l'impression d'avoir déjà lu des romans sur ce sujet
(Lignes de failles de Nancy Huston ou encore le rire de l'ogre de Pierre
Péju), si bien que mon attention s'est éteinte peu à peu. Cependant,
Dugain reste un bon écrivain, au style minimaliste et posé certes, mais
qui mène le lecteur jusqu'à la fin du livre sans trop de problèmes. Un
livre à lire certes, mais avec une nette impression de déjà lu.