Ed. Ecole des Loisirs, paru le 1er mars 2012. 135 p. 9 €
« L’immense
et puissant fleuve Léna (qui) irrigue et nourrit le pays de Iakoutie
sur des milliers de kilomètres du sud au nord, à l’intérieur et au bord
duquel grouillent, jouent, se battent, se dévorent, se guettent,
s’ignorent, s’apprécient, se détestent, se tolèrent, grandissent, vivent
et disparaissent depuis des millénaires des milliers de formes de vie,
de l’éphémère la plus fragile au bœuf musqué le plus colossal – et sur
lequel flottent tant de choses diverses, comme certains bouts de bois à
la forme un peu bizarre. »
Parlons-en de ce morceau de bois ! A cause de
sa vague ressemblance avec un lièvre (et pourtant un lièvre ça ne nage
pas !), il va perturber la journée de tout ce petit peuple énoncé
ci-dessus ! Véritable fil d’Ariane, cette grosse branche perturbe entre
autres, Lelio Lodoli l’aigle qui parle de lui à la troisième personne,
Spiridon Titov, l’élan poète à ses heures perdues, ou encore Ossoufri
Laboda, l’esturgeon rebelle …Affublés de patronymes slaves, les animaux
du bord du fleuve pensent aussi et dissertent. Tous ont un trait de
caractère différent mais tous pensent que « le rêve et la réalité ne
sont pas vraiment distincts », et c’est cette particularité qui les
distingue finalement « des animaux humains ». Ainsi, on trouve un
écureuil cherchant à s’orienter, on suit Iaroslav Fafnir le renard peu
futé (ce qui est un comble pour un renard !) à la recherche de sa
pitance quotidienne, et handicapé par son absence de ruse :
« il
ne brillait ni par ses connaissances générales, ni par sa mémoire, ni
par la suite qu’il pouvait avoir dans ses idées », et enfin, on
rencontre Pamphile Strogonov, le bœuf musqué le plus puissant du Grand
Delta de la Léna, qui confirmera le proverbe de la louve au chapitre
premier : « le battement d’ailes d’un papillon à la source de la Léna
peut suffire à provoquer un combat de bœufs musqués à son embouchure. »
Le
lecteur suit avec plaisir les aventures de ces animaux qui nous
ressemblent. Eux aussi ont leur divinité, une certaine Goritsa, « à la
fois le théâtre, l’acteur et le public de sa propre pièce », dont la
particularité, telle La Pythie, est de s’exprimer de façon très obscure,
si bien qu’à force de phrases tarabiscotées, plus personne ne la
comprend… Goritsa est un personnage franchement drôle et bienveillant
dans son rôle de surveillante générale de ce peuple. Christian Garcin
offre un récit très frais à la prose enlevée avec des personnages
finalement très humains, mais qui ont su garder leur sagesse et leur
naïveté d’animal pour combler petits et grands lecteurs !