Ed Albin Michel, août 2010, 192 pages, 15.2 euros
Exercice de style

Que
se passe-t-il lorsque vous êtes coincé dans un train au milieu de nulle
part sans savoir vraiment les causes de cet arrêt? Souvent, nous
échangeons nos points de vue avec notre voisin de siège, nous observons
ce qui se passe dans le compartiment. Or, le héros de ce roman a peur de
cette parole. En effet, animateur d'atelier d'écriture, les mots sont
devenus pour lui des ennemis. Il dit:
"je suis submergé de mots jusqu'à
la noyade". Les autres lui envoient leur vie et leurs problème à la
figure. Il est le symbole même de l'empathie passive, au point qu'à
force d'être une éponge aux soucis d'autrui, il est en lambeaux.
Cependant, il suffit que sa voisine lui pose quelques questions pour
qu'à son tour, la parole se révèle libératrice de son mal être. Elle
devient thérapeutique; il n'est plus
"le tiroir où l'on pouvait ranger
sa douleur" mais un être à part entière avec sa tristesse et ses
difficultés. Alors que parler "l'épuise", il ne peut plus s'arrêter,
cela devient un besoin pour le sauver de lui-même et de sa vie.C'est
très très bien écrit avec quelques fulgurances notamment celle où il
explique son "culte fétichiste à la littérature". C'est une lecture à la
fois reposante et grave (le contexte y est aussi pour beaucoup), mais
la magie des mots s'opère et la prose est musicale. Ainsi, l'auteur, qui
est aussi animateur d'ateliers écriture, explique par le biais de son
personnage ce que l'écriture peut apporter aux gens et quels douleurs
elle peut révéler. "L'incident de personne" sur les rails n'est que
l'écho de la vie de cet homme terriblement meurtri par ce qu'il a
entendu depuis qu'il est tout petit alors qu'il n'a jamais rien demandé.
C'est beau et dur à la fois. Un auteur à suivre.