dimanche 6 octobre 2013

Quelque chose de merveilleux et d'effrayant, Eric Pessan


Ed Thierry Magnier, Quentin Bertoux (photographies), mars 2012, Collection photo-roman, 88 p. 9.20 €




« Le matin où le monde entier a basculé, j’ai entendu ce long cri ». Telles sont les paroles du narrateur, jeune adolescent vivant seul avec sa mère, lorsque la magie est apparue dans son quotidien. Correspondant bizarrement avec la disparition de son père, les objets perdent d’un seul coup leurs réflexes d’apesanteur et deviennent libres. Dès le départ, on sent qu’il s’est passé quelque chose de grave dans ce foyer où, apparemment, la communication est secondaire. Alors, pour compenser, l’adolescent se met à imaginer un autre possible dans lequel le quotidien est imprégné de magie. Seulement, il est le seul à s’en apercevoir. Que ce soit au collège où à la maison, son entourage ne semble pas réceptif à ce qui se passe d’exceptionnel autour d’eux… Et, plus sa mère sombre dans un état dépressif, plus la réalité s’efface au profit d’un monde fantastique davantage attrayant ; une échappatoire en quelque sorte.
Photo Quentin Bertoux
La vraie magie, selon lui, n’est pas la magie des lapins dans un chapeau, « elle est illogique, incontrôlable, nécessaire, terrifiante et magnifique ». Elle lui permet de rompre avec la monotonie, la douleur du quotidien, et les dissonances du monde réel. Et toujours, en filigrane, ce questionnement sur la disparition du père : où se cache-t-il depuis cette fameuse nuit ? Que devient-il ?
On comprend alors que seule une rupture du silence entre la mère et le fils, ainsi que le courage de pouvoir mettre des mots sur la douleur de la séparation permettront un retour à la réalité.
Les paragraphes sont courts, commençant souvent par un mot clé : lenteur / magie / silence / surprise, par exemple, mais au fur et à mesure, ces mots expriment la souffrance : trou noir / mépris / pleurs… Eric Pessan oppose systématiquement le merveilleux d’un nouvel espace dans lequel le narrateur évolue au silence effrayant de la mère.
Photo Quentin Bertoux
La narration est renforcée par des photos insolites de Quentin Bertoux. D’ailleurs, le récit s’appuie sur la thématique proposée par le photographe. Le personnage récurrent, un homme en complet noir portant un chapeau melon, fait incontestablement penser aux tableaux de Magritte, et propose d’emblée une entrée dans l’univers fantastique.
Eric Pessan n’est pas à son coup d’essai. Dans La Fête Immobile, une série de clichés d’Hervé Plumet l’avait inspiré. D’ailleurs, encore une fois, on retrouve des thèmes chers à l’auteur : une jeunesse désorientée, un questionnement permanent sur le non-dit, et surtout ce traitement original du silence qui fait qu’il devient un personnage à part entière dont seul sa destruction et son effacement viendront au bout du récit.