Le Livre de Poche, août 2013, 384 pages, 7.1 euros
"La réceptionniste revient de suite..."

"J'avais eu de l'argent, il m'avait frappé, et alors? C'était juste mon corps, et c'était du passé."
Leïla ne ressent rien. Les sentiments ne font que l'effleurer, c'est pourquoi il est facile pour elle de se vendre. Son physique n'est qu'une enveloppe, et à y regarder de plus près il ressemble trop à celui de sa défunte mère qui lui a tant laissé de souvenirs trop lourds à porter.
"J'étais calme, planant en permanence à trois mètres au dessus de mon corps. Peut-être qu'être avec moi n'était pas très différent qu'être tout seul."
Un jour, elle s'entiche d'un de ses clients, un certain Gary. Il devient son proxénète officieux, la prête à ses amis, empoche sans qu'elle n'y voit aucun problème:
"Je me sentais aimé comme un sale chat est aimé d'une vieille dame solitaire"
Dès lors, la descente aux enfers commence...
Le style de l'auteur est à l'image du caractère de Leïla: neutre, froid face à la gravité de la situation. Ce roman prouve de façon implacable l'influence des parents quant à la futur stabilité ou instabilité de l'enfant. Leïla a eu une mère elle aussi prostituée à ses heures perdues, fournissant des gestes de tendresse au compte goutte, et un père aimant, mais incapable de faire preuve d'une autorité parentale dominante.
Alors, vendre puis donner son corps c'est se donner l'impression d'exister, se punir, ou d'être aimer, au choix.
L'importance du vécu permet de justifier cette âme en perdition qui cherche pourtant à renaître en se forgeant un autre destin. Et quand on vit à Suspicious River, quoi d'autre que la rivière qui longe l'hôtel comme symbole emblématique d'une possible renaissance?