Iris, seule survivante d'une fratrie de six filles, raconte l'histoire de la malédiction familiale qui fut à l'origine - avec le chagrin- de sa fuite vers le Nouveau Mexique et de sa nouvelle identité.
Dans cette histoire, tout vient de la mère, née dans les cris d'agonie de sa propre mère. Ces cris, elle les entendra toute sa vie, même s'ils s'atténueront avec le temps. Jeune fille devenue orpheline, elle fut forcée de se marier pour ne pas se retrouver à la rue...
"Elle porte l'horreur de son passé en elle. Elle est le produit de son passé et même si je déteste y penser, nous aussi. Et pire encore, elle hait notre père et n'a jamais voulu se marier. Elle ne nous a jamais voulues non plus".
Dans cette histoire, tout vient du père aussi. A la tête d'une grosse manufacture d'armes à feu qui porte son nom, les armes Chapel, c'est un homme bourru, discret, qui n'a pas su écouter son épouse qui rêvait de ne plus se soumettre à lui. De leur union forcée sont nées six filles qui ont toutes vécues dans l'opulence et la protection de la grande demeure familiale entre un père qu'elle ne connaissent pas vraiment tant il est taiseux, et une mère que certaines d'entre elles n'hésitent pas à qualifier de folle tant ses cris nocturnes hantent leurs rêves, visitée, croit-elle par les âmes de ceux qui ont péri sous les coups des armes fabriquées par son époux.
"Mais ma mère n'était pas comme tout le monde. Pour elle, un nuage flottait au-dessus de Bellflower Village à cause de l'usine Chapel et des armes et des munitions qu'elle produisait, un nuage de pollution morale".
Enfin dans cette histoire, tout commence et tout finit par l'esclandre que fait la mère quand elle apprend que sa fille aînée Aster va se marier. Elle lui demande de renoncer à ce projet car elle est persuadée que rien de bon n'en sortira. Telle une Cassandre, on ne la croit pas mais le destin est en marche...
"C'est dans notre sang, c'est notre héritage".
Chaque union prédestine une mort prochaine de la mariée. Iris ne peut rien faire contre cette malédiction. Elle ne réussira même pas à protéger la cadette. Comment peut-on renoncer à l'amour, à fonder une famille quand c'est le rêve de toute une vie ? Iris est la seule qui comprend vraiment ce qui se passe et décide donc de fuir le même destin que celle qui l'a mise au monde et attend désormais la mort dans un asile psychiatrique.
"Emily Dickinson a écrit qu'il n'y a pas que les maisons qui sont hantées, mais que 'le cerveau regorge de corridors'. C'est vrai. Et les miens débordent. L'abîme de mon esprit - tous ces corridors hantés, selon la façon dont vous voulez les décrire - contient des éclats de verre brisé éparpillés sur tout le sol. J'attrape un tesson et je dépeins ce que je vois, puis je le repose".
La famille Chapel ne se résout pas à expliquer toutes ces morts qui se suivent et se ressemblent tellement. Le père est accablé et Iris, désormais seule survivante, s'enfuit au Nouveau-Mexique où, sous l'identité de Sylvia Wren elle va construire sa vie et devenir une artiste renommée. Seulement, au crépuscule de sa vie, quelqu'un vient régulièrement frapper à sa porte la nuit. Il est temps pour elle de raconter son histoire, l'histoire d'une "Mère hantée, fille hantée".
"Mes sœurs avaient laissé un tel néant derrière elles - des objets du silence, et une immobilité suffocante à rendre fou n'importe qui".
Les Voleurs d'innocence racontent les destinées d'Aster, Rosalind, Daphné, Calla, Hazel et Iris ou comment la perte de la virginité entraîne la mort prématurée.
Iris, seule témoin rescapée de cette malédiction familiale, raconte son histoire et celle de ses sœurs pour les rendre encore vivantes, un peu.
On se laisse emporter facilement par cette étrange saga familiale tragique dans laquelle les femmes tiennent un rôle prépondérant. A l'heure des choix, quand l'amour l'emporte, cela n'augure rien de bon. Dans ce cas, comment se construire une vie en y renonçant ? Saraï Walker signe là un roman à la lisière du conte de fées dans lequel l'émancipation devient la seule solution à un avenir tout tracé.
Ed. Gallmeister, août 2023, traduit de l'anglais (USA) par Janique Jouin-de Laurens, 624 pages, 26.40€
Titre original : The Cherry Robbers
( le titre original est issu d'un poème de D.H Lawrence)