Le roman débute sur le Golden Gate, à San Francisco. Amelia hésite à sauter. Elle a tout perdu dans une effroyable tragédie. Elle qui "marchait côté soleil", s'apprête à rejoindre les ombres. Et puis :
"Même si ce que je vivais était affreux, une partie de moi ne pouvait pas abandonner le monde. Pleurer un deuil immense, comme je le faisais, devait servir d'une certaine façon à me rappeler que la vie était précieuse. Même la mienne. Même alors".
Elle quitte les Etats Unis en prenant un bus au hasard rempli de baba cool. Elle ne se retourne pas, prend les jours comme ils viennent et se retrouve un matin sur le ponton d'un village d'Amérique Centrale, La Esperanza, dominé par un volcan endormi, "[faisant] autant partie de la vie que la pluie, les arbres, les champs de blé, l'air".
En son for intérieur, Amelia sent que c'est le bon endroit pour se poser et recommencer une nouvelle vie. Leila l'accueille dans son hôtel décrépi, La Llorona, "une vision du paradis à la période la plus noire de [sa] vie".
"Partout où je posais le regard, j'étais frappée par sa magie. Et sa décrépitude. Cette décrépitude me permettait de me sentir à l'aise. Sans l'impression que des événements pénibles s'étaient produits ici, que les choses étaient loin d'être faciles, je n'aurais pas pu envisager y avoir ma place".
Le lieu tire son nom d'une légende amérindienne et les murs ont une histoire, un passé, des anecdotes que la maîtresse des lieux gardent amoureusement
"Beaucoup d'histoires se sont déroulées à cet endroit. Certaines heureuses, d'autres à vous briser le cœur (...) Ils n'ont pas toujours trouvé ce dont ils cherchaient, mais ils ont en général trouvé ce dont ils avaient besoin".
Il ne s'agit pas d'oublier son incurable chagrin, simplement d'apprendre à vivre avec celui-ci et de tirer de la force du présent. Lors de son séjour, Leila et Amélia se lient d'amitié. Les jours deviennent des semaines puis des mois. Amelia, par la force des choses se voit contrainte à reprendre les rênes de l'établissement, en le protégeant et en le rénovant afin d'y attirer les clients. Car elle désire perpétrer ce que Leila lui a raconté, elle qui fut jadis la maîtresse éphémère de Marlon Brando ayant fait fortune dans les macarons. Les clients doivent se sentir dans une bulle atemporelle où ils peuvent enfin se poser et prendre le temps.
Certes "tout paradis a ses serpents" et Amelia en fera la triste expérience mais elle pourra à son tour remplir le livre d'anecdotes commencé avec la boisson au cacao de Federico, le banquier Carl Edgar, Walter, la jeune chinoise à la recherche d'une plante pour avoir un bébé, ou encore Helen et Jeff Boggs.
La sérénité arrive avec le temps, les rencontres, les habitants du village qui continuent de vivre malgré l'ouragan et l'éruption du volcan, les amitiés sincères et les autres intéressées. Et puis un jour, Tom arrive à l'hôtel, un exemplaire de l'Amour au temps du choléra de Gabriel Marcia Marquez à la main...
"La vie devait leur réserver d'autres épreuves mortelles mais peu leur importait : ils étaient sur l'autre rive".L'Hôtel des oiseaux est un roman sur la victoire contre l'adversité, la reconstruction après un deuil immense, la possibilité d'une nouvelle chance. C'est aussi un texte qui croit profondément à la nature humaine, aux rencontres qui changent une vie et vous apaisent. Pourtant, on ne sombre jamais dans la naïveté. Les lieux du roman sauvent Amelia : la nature luxuriante, l'hôtel délabré au bord d'un lac miroitant, les oiseaux qui viennent se poser et se laissent dessiner, les villageois...
De tous les livres de Joyce Maynard que j'ai pu lire, celui-ci fait désormais partie de mes préférés tant l'histoire racontée touche le lecteurs et fait du bien. Le pouvoir de la fiction est tel qu'on s'y retrouve.
A lire sans tarder.
Ed. Philippe Rey, août 2023, traduit de l'anglais (USA) par Florence Lévy-Paolini, 526 pages, 25€
Titre original : The Bird Hotel