Je pioche dans ma bibliothèque et je relis des romans qui m'ont marquée jadis.
Une relecture est finalement une nouvelle découverte puisque le temps a passé nous laissant que des fragments de souvenirs.
Ma première lecture de Minuit dans une vie parfaite date de 2011. Elle m'avait laissé le souvenir d'un auteur à suivre à cause la justesse des propos lorsqu'était abordé le thème de l'inspiration chez l'écrivain, mêlé à une intrigue fictionnelle jouant avec l'étrange et les souvenirs.
Rien de va plus dans la vie de Karl. Sa carrière d'écrivain qui n'a jamais vraiment débuté est carrément au point mort depuis que son activité de nègre pour l'auteur de polars Fennimore est susceptible de prendre fin. A cela s'ajoute l'obsession de son épouse Lori d'avoir un enfant coûte que coûte. Et aux Etats-Unis la procréation coûte très cher et les poches de Karl son vides et endettées.
Où trouver l'inspiration pour que son Opus, roman de toute sa vie, intéresse enfin un éditeur ? Quelle idée sera la bonne pour que Fennimore collabore de nouveau avec lui pour un roman policier ? Karl se demande si puiser dans son quotidien ne serait pas la solution idéale. Alors il se remet à discuter avec Fennimore qui semble être un double de lui-même, et il observe la société qui l'entoure "en prisonnier de ses perceptions, (et) témoin obsessionnel de la vie".
Seulement réalité et fiction ne font pas bon ménage et Karl est à un moment de sa vie où les souvenirs de son enfance avec un père criminel refont surface, ainsi que ceux alors qu'il dirigeait un atelier d'écriture. Et puis, en y pensant objectivement, il en vient même à se demander s'il a été vraiment amoureux un jour de Lori...
"Loin de moi l'idée de dénigrer la place de la séduction et du désir charnel, mais je pense que l'Amour, en tant que principe directeur du bonheur est, pour l'essentiel, un leurre de notre vie moderne".
"Si je devais définir mon mariage dans la durée, je dirais qu'il était fondé sur un besoin économique sous-jacent, ce qui, à la réflexion, était conforme aux règles d'origine de l'institution où une alliance foncière s'effectuait pour la sécurité de tous".
Karl se souvient d'une phrase que son père aimait lui répéter : "Chacun démarre dans la vie avec de si grandes espérances" ! Il sent encore le regard de cet homme énigmatique fixé sur lui depuis le rétroviseur de la voiture. n'est-il pas temps pour lui d'exhumer son passé afin de l'utiliser comme fil conducteur dans un nouveau polar ?
"Comment survivre hors de l'ordinaire, et qu'y a-t-il après tout, de si terrible à être un homme banal"?
La banalité, c'est bien le sujet essentiel de ce roman. Karl incarne un homme banal en proie aux soucis du quotidien vécu par des milliers d'hommes comme lui. Seule sa carrière d'écrivain est le passeport pour sortir de cet engrenage, encore faut-il disposer des armes littéraires nécessaires pour sortir du lot. Ici, l'écriture n'apparaît pas comme un acte jubilatoire, mais comme un art qui "n'est pas un choix" "C'est un remords. C'est une maladie de l'âme" avec laquelle il faut vivre. Karl veut écrire une "non fiction" qui se rapproche au plus près de la réalité, à l'image des "snuff movies" qui circulent
Michael Collins décrit fort bien les affres de cet engrenage infernal.
"Parfois, l'issue n'était pas la fuite en avant, mais la fuite en profondeur" pense Karl, et Minuit dans une vie parfaite est l'incarnation littéraire de cette fuite.
Ed. Points Seuil, avril 2012, traduit de l'anglais par Isabelle Chapman, 336 pages, 7.20€
Titre original : Midnight in a perfect life