Dans le monde d'Emma Cline, personne n'est innocent et tout le monde a un comportement de façade cachant une intense réflexion intérieure.
Dès lors les rapports humains sont biaisés, s'adaptant à l'interlocuteur, au conjoint, au patron, à celle ou celui qui se trouve derrière son écran. Et quand tout s'amoncelle, cela donne une atmosphère malsaine et étouffante.
L'autrice s'est fait connaître en France Avec The Girls publié par La Table Ronde lors de la rentrée littéraire 2016, mais aux Etats-Unis, c'est surtout avec ses nouvelles qu'elle a fait ses armes. Les dix textes qui composent Daddy dévoilent l'univers singulier de Miss Cline déjà esquissé dans The Girls. Par la force de l'écriture et l'art de la suggestion, le sordide n'est jamais dévoilé dans sa crudité, mais le résultat n'en est que plus impactant : le lecteur sent le malaise qui s'installe et se monte un film sur la suite laissée en suspension par le mot fin.
Adolescents, jeunes gens, père de famille, ancienne gloire sur le déclin, tous portent en eux une perversité assumée parfois, souvent reniée, mais qui, en période de crise prend le dessus. On se cache, on s'invente une vie, on tente de rebondir pour ne plus voir les ruines de sa vie passé.
"Marion fut ma première meilleure amie. Je n'avais jamais eu ces photos encadrées que les filles aiment s'offrir. Je n'avais jamais porté de bracelets d'amitié, et je n'avais même jamais détesté personne avec une autre fille. Ma vie m'apparaissait comme une chose nouvelle, inattendue". (Marion)
Il y a du déterminisme dans les histoires d'Emma Cline. Comme une force invisible qu'on n'arrive pas à apprivoiser et qui met à genoux quiconque tente de la balayer. La paternité est pesante. Chaque père voit en sa progéniture une future vie gâchée puisque la leur n'est plus qu'un pâle reflet de ce qu'elle était.
"Avec quelle facilité un voile tombait entre lui et ce groupe de personnes qui constituaient sa famille. Ils devenaient flous, de manière agréable, suffisamment diffus pour qu'il puisse les aimer". (What can you do with a general)
Chaque nouvelle contient une thématique sexuelle, souvent larvée mais avec une telle puissance d'évocation qu'elle explose à la face du lecteur. L'innocence n'existe pas. Le corps est plus puissant que l'esprit et se trouve devenir un refuge pour oublier et se cacher d'une vérité trop lourde à porter.
Finalement, Daddy est la somme des désespoirs individuels. Même entourés, les personnages sont souvent seuls, confrontés à eux-mêmes, à leur psyché et à leurs contradictions. Simplement, le lecteur devient l'unique témoin du malaise qui se met en place, car Emma Cline décrit un monde où les solutions n'existent pas, laissant ses anti-héros s'embourber dans leurs certitudes et leurs déviances. C'est pourquoi, l'autrice porte un regard acéré sur la société qui l'entoure et n'hésite pas à mettre en lumière tous nos petits secrets.