Rentrée Littéraire
Jo Nesbo, mondialement connu, abandonne son héros Harry Hole, pour raconter l'histoire d'une fratrie liée par le malheur et le sang.
"Toi et moi on est pareils, Roy. On est plus solides que maman et Carl. Alors on doit veiller sur eux. Toujours. Tu comprends"?
Roy a fait ce que son père demandait ; il a toujours veillé sur son petit frère Carl qui, en cas d'urgence, a pris l'habitude de demander secours à son grand frère. Mais Roy n'a jamais eu besoin que son père le lui dise, c'était inscrit en lui, comme une évidence quand il a compris que Carl était la cible des désirs incestueux du père.
A Os, en Norvège, les gens sont des taiseux. Tout le monde se connaît, alors si une rumeur court à propos d'une famille, c'est la honte assurée. Et chez les Opgard, la honte c'est pire que tout. Quand les parents de Roy et Carl sont tués dans un accident de voiture - la Cadillac ayant basculé dans le ravin juste avant la ferme - ils ont subi sans broncher les doutes de la police et les murmures sur leur compte. Plus tard, Carl a préféré partir au Canada, laissant Roy garant de la réputation familiale.
"Opgard. Une petite maison, une grange, un lopin de terre. Qu'était-ce au juste ? Un nom en six lettres, une famille de deux survivants. Car tout le reste mis à part, c'était quoi une famille ? Une histoire qu'on se racontait les uns aux autres parce que la famille était nécessaire, parce que, au cours des millénaires, elle avait fonctionné comme unité de coopération".
Roy a fait son trou comme on dit. Il gère la station service locale avec l'épicerie, et sa réputation de cogneur n'étant plus à faire, il a acquis une certaine forme de respect. Sa vie est remplie par la routine du travail et l'observation des oiseaux, sa grande passion. Et puis, un beau jour, Carl revient de son exil, fraîchement marié à Shannon, avec un projet exubérant en tête : faire de Os une ville touristique prisée grâce à son futur hôtel Spa de montagne.
"Le point commun entre Carl et maman, le rêve l'emportait sur la réalité, la façade sur le contenu".
Cet hôtel peut devenir une réalité si tous les habitants participent financièrement au projet. Tant pis si le budget a été vu à la louche, et tant pis si son retour ranime les vieilles rancœurs et les pires rumeurs ! De toute façon, Carl sait qu'il peut compter sur Roy pour le protéger du pire, quitte pour cela de devoir faire disparaître les importuns...
"Quand les hommes de nos contrées ne meurent pas des maladies habituelles, ils meurent dans une voiture sur une route de campagne ou au bout d'une corde ou d'une balle de fusil dans une grange".
Roy, inspiré des émissions True Crime, s'évertue à trouver une cohérence à tout cela. Maintenant ce n'est plus Carl qu'il désire protéger, mais bel et bien Shannon dont il est tombé amoureux.
"Le sentiment amoureux assourdissait le reste. C'était une foutue maladie, je ne pouvais ni manger ni dormir".
Or, une nuit d'été, l'hôtel en construction prend feu. Les Opgard vont devoir affronter la colère de la population...
Notre Domaine est un polar impeccable sans temps mort ni invraisemblance. Jo Nesbo décortique les mentalités et les tempéraments nordiques, prêts à tout même au pire pour préserver ne serait-ce qu'un semblant de paraître. Roy, le narrateur, est un personnage complexe, écartelé entre son devoir familial et son désir de vivre enfin sa vie. Les personnages secondaires donnent de l'épaisseur à cet anti-héros que finalement personne ne connaît intimement.
Ce nouveau roman mérite sa place dans la collection Série Noire, et montre une nouvelle fois que Jo Nesbo est un formidable conteur.
Ed. Gallimard, collection série Noire, traduit du norvégien par Céline Romand-Monnier, 640 pages, 22€