Dès les premières lignes du texte, on sait à qui le titre fait allusion, et jusqu'à la fin, on entre dans l'esprit de cet homme retors, incapable de se rendre compte du mal qu'il a fait, et déterminé à croire qu'il sera disculpé.
"- Peur ?" Il battit des paupières, très vite. "Non, j'ai pas peur".
Pourtant, autour de lui, ça s'agite. L'entourage qui lui est resté fidèle - et c'est peau de chagrin - tente de lui faire comprendre que la partie qui se joue demain au tribunal n'est pas gagnée. Mais Harvey se demande pourquoi ils sont tous à stresser alors qu'il a été accusé injustement.
Cela fait des années que cela dure et si personne n'a rien dit c'est qu'il n'y avait rien à dire, pense-t-il. Les femmes y trouvaient leur compte et lui aussi. C'était le prix à payer pour entrer dans la grande famille du cinéma. Et même s'il n'a pas le physique du jeune premier, son aura, son influence ont fait le reste...
"Il pouvait même commencer à réfléchir à ce qui lui était arrivé. Avant, il avait l'impression de prendre quelqu'un par surprise. C'était trop douloureux à regarder, autrement que du coin de l'œil, ce malheur massif, confus, qui avait privé sa vie de lumière. (...) Les choses avaient dérapé".
Enfermé dans sa vaste maison avec un bracelet électronique, Harvey se projette. Il s'est mis dans la tête d'adapter DeLillo au cinéma. Quelle affaire ! A ceux à qui il en parle lui demandent d'attendre, de ne pas s'emballer. Mais pourquoi donc ?
Bref, Harvey est incapable de se remettre en question...
Emma Cline signe une nouvelle caustique dans laquelle son personnage principal incarne celui qu'on adore détester. Aucun remords, aucun regret, aucune remise en question de ses agissements. En parfait Narcisse, Harvey regarde son nombril et se lamente sur les méchants qui veulent le détruire.
On adore car tout est suggéré. L'allusion à la place des faits. Les mensonges à la place de la vérité. Les personnages secondaires sont les poissons rouges dans le bocal : ils s'agitent, préviennent, mais cela ne sert à rien.
Harvey est un bijou !
Ed. La table Ronde, mai 2021, traduit de l'anglais (USA) par Jean Esch, 112 pages, 14€