mardi 6 avril 2021

Soif de réussir

 


Horace Hopper n'a qu'une idée en tête : devenir quelqu'un, déjouer ce que le déterminisme social a préparé pour lui. Rien, comme ses parents qui l'ont abandonné jadis. Heureusement que les Reese, un vieux couple de ranchers, l'ont adopté comme un fils. Ce sont les premiers qui ont cru en lui, au point d'en faire celui qui reprendra le ranch à leur retraite. Seulement voilà, Horace rêve de rings, de combats, de ceintures de champion de boxe. Il se persuade qu'il deviendra quelqu'un en devant un champion. Réussir, oui, mais réussir, seul, comme un grand. Eldon Reese l'a bien compris.

"Chacun doit trouver sa propre voie, la coupa son mari. Surtout à cet âge. Tu le sais très bien. C'est juste que tu vas nous manquer, Horace. C'est ce qu'on essaie de te dire. On t'aime, et on ne sait pas ce qu'on va faire sans toi'.

A vingt et un ans, il a la vie devant lui. Il quitte les grands espaces du Nevada pour la ville de Tucson où il a l'intention de commencer sa carrière sportive. En plus de se heurter à la difficulté de se trouver un entraîneur, il affronte l'anonymat. Sa volonté s'effrite, devient en dents de scie. Heureusement le vieux Eldon Reese le surveille de loin en loin, lui proposant de revenir au ranch au cas où.

Mais Horace refuse. Il veut se faire un nom, devenir le champion Hector Hidalgo. Comme il a du sang indien, tout le monde le prend pour un mexicain. Pourquoi pas surfer sur ce malentendu ? De nombreux boxers méritants étaient mexicains. Premier mensonge d'une longue série qu'Horace a du mal à assumer tant son désir de devenir quelqu'un surpasse les règles qu'il s'est jadis imposées. 

"Pourquoi fallait-il qu'il mente ? Pourquoi fallait-il toujours qu'il travestisse la vérité quand il avait peur ou honte ? N'allait-il donc jamais changer ? Quand allait-il enfin se comporter comme un homme ? Un homme de caractère, qui n'hésiterait pas à se jeter dans les flammes pour sauver un bébé ou un chien".

Pour cela, il suit les préceptes d'un petit livre auto-édité, le C.A.N.O.T, véritable mantra de la réussite.

"Pour devenir un champion il faut bâtir soi-même son avenir. Il faut construire son canot petit à petit, une pièce après l'autre, jusqu'à ce qu'il soit indestructible, invincible. Et ce canot vous fera gravir les échelons jusqu'à ce que vous parveniez à celui des champions, et c'est ce que je vais faire".

Devenir quelqu'un ressemble à son grand frère Ballade pour Leroy. Ce roman social est rempli de douleur, de chagrin mais déborde d'amour. La jeunesse d'Horace l'aveugle. Il ne voit pas qu'il peut réussir en acceptant l'aide de ceux qui ont voulu l'aimer. Au fur et à mesure, le jeune homme est broyé par un système qui le dépasse. Certains y verront du déterminisme social à la Zola qui fait que quoiqu'on entreprenne, on est rattrapé par le milieu dont on est issu.

Les personnages de Willy Vlautin sont bouleversants. Ils acceptent leur sort avec dignité. Eldon Reese est le grand-père ou le père que tout le monde rêverait d'avoir. Il est le refuge d'Horace.

Forcément, le lecteur ne sort pas indemne d'une telle lecture. La réalité sociale, le cynisme de certains, la solitude encore plus grande nous touchent en plein cœur.


Ed. Albin Michel, février 2021, traduit de l'anglais (USA) par Hélène Fournier, 304 pages, 21.90€

Titre original : Don't Skip out on me