La nature ne se soumet pas à l'homme, c'est l'homme qui tente d'apprivoiser une nature toujours rebelle, retors, jamais là où on l'attend. Immuable, souvent dangereuse, elle renferme dans ses entrailles de quoi rendre fou ceux qui veulent devenir riches. Pour les contemplatifs, elle reste celle qui inspire et apaise.
Chez Rick Bass, la pureté côtoie le sang. Rien ne se passe jamais comme prévu. Même la chasse n'est pas faite proprement, menée par des bouseux incapables de tirer correctement, devant s'y prendre à plusieurs fois pour tuer un élan.
"Je me suis demandée si Matthew serait un jour capable de finir une chose proprement.Nous avons dû le traquer". (La rivière en hiver, p.21)
L'épaisse couche de glace qui recouvre le lac en hiver cache un drame : un homme noyé dans son pick up. L'homme est mort mais le pick up renaît, tracté par l'orphelin lors d'une nuit de paris.
A chaque nouvelle sa symbolique. La poésie n'est jamais bien loin. On oscille sans cesse entre le respect de la nature et son exploitation sans vergogne. Telle est la nature humaine selon Rick Bass : un savant mélange entre la douceur et la cruauté.
"L'obscurité m'apaise. Je me suis allongé sur le flanc de la colline et j'ai regardé ce feu qui étreignait les étoiles, effaçait tout sauf lui-même. J'ai senti la terre trembler et cette flamme rugir non seulement au-dessus, mais en dessous, jaillir à la rencontre de nous tous". (Chasseur de baux)
On se déplace dans le temps, parmi les souvenirs d'une petite fille, d'un chasseur de baux des années 80 ou on croise des récits inscrits dans l'instant présent.
"Que notre cerveau doit être vaste, pense-t-elle aujourd'hui, pour se rappeler des choses aussi infimes, fondamentalement inutiles et éphémères ! Comment quiconque ose-t-il dormir ne serait-ce qu'un instant ?". (Ce dont elle se souvient)
La temporalité du recueil inscrit l'Homme dans une logique immuable face à la nature qui l'entoure. L'aventure d'un moment rend le souvenir indélébile.
"Wilson se demande de quoi elles se souviendront. Est-il possible qu'elles se remémorent seulement le bon côté des choses - l'aventure - , comme s'il n'avait jamais commis la moindre erreur et qu'il était resté irréprochable tout du long "? (L'arbre bleu)
Les parcs naturels deviennent des lieux où on se réfugie pour faire le point. Se ressourcer pour oublier ses problèmes et croire encore, peut-être, à ce qu'on est en train de perdre, car "il faut beaucoup d'efforts pour maintenir le rêve à flot". (L'arbre bleu)
"S'il faut vraiment choisir, mieux vaut être de plus en plus isolé que de ne plus rien sentir. Même le fait d'oublier devient acceptable en fin de compte, après un temps suffisamment long, si la brûlure initiale a été assez forte". (Ce dont elle se souvient)
Et Dieu dans tout ça ? Pour certain, son absence correspond à une malédiction, pour d'autres, il a posé les choses puis s'en est allé.
"A cet endroit, l'humanité devait seulement apparaître dans plusieurs centaines de millions d'années, comme si quelqu'un avait dressé la table avant de s'en aller et de nous oublier". (Chasseur de baux)
En tout cas, les petites villes de l'ouest américain ont cette force qui fait que jamais "on ne s'y sent vraiment en perdition".
Les moments de communion sont rares, mais ils existent. Et dans ces moments intimes, la joie ressentie devient presque douloureuse. Elle s'inscrit lorsqu'on coupe un sapin qui permettra de ressouder la famille autour de lui pendant un temps, où lorsque le pétrole surgi des entrailles rend riche celui qui le prospecte. Et Rick Bass explique ce moment unique où l'homme communie avec cette nature qu'il a souvent bafouée mais avec laquelle il se sent lié à jamais.
Ed. Christian Bourgois, octobre 2020, traduit de l'anglais (USA) par Brice Matthieussent, 208 pages, 20.50€
Titre original : For a Little While