Booker Prize 1995 pour The Ghost Road, Pat Barker revient en littérature en donnant la parole à des "silencieuses", ces femmes troyennes devenues esclaves pour les soldats grecs, dont l'une, Briséis, la plus connue de toutes, sera à l'origine de la colère d'Achille racontée dans l'Iliade d'Homère.
Car, lorsqu'on lit l'Iliade, on se rend compte que c'est avant tout une affaire d'hommes et d'égo. Jamais une captive ne prend la parole, que ce soit Chriséis rendue à son père par Agamemnon pour faire cesser la peste sur le camp achéen (grec), ou Briséis, captive d'Achille et donnée de force à Agamemnon en compensation.
Mariée à Mynès roi de Lyrnessos, Briséis a vu ses parents, ses frères et son mari mourir devant ses yeux. Elle n'est plus désormais qu'une "putain troyenne" donnée à Achille en récompense de son ardeur au combat.
"J'ai vu la bouche des hommes s'ouvrir comme des bouches écarlates, toutefois je n'entendais pas leurs cris".
Elle apprend désormais à vivre avec la peur mais ne renonce pas, s'opposant ainsi au conseil de Nestor lui suggérant d'oublier son ancienne vie.
"Oublie. Tel était donc mon devoir, simple et clair comme une coupe remplie d'eau : souviens-toi".
Briséis raconte le quotidien dans le camp achéen, l'attente - cela fait neuf années que cela dure -, les tractations entre guerriers, l'étrange relation qui unit Patrocle à Achille, mais décrit aussi la nouvelle vie ou plutôt la survie des vaincues, devenues esclaves sexuelles, servantes, fileuses et infirmières. Elle devient leur voix. Se taire, c'est mourir, alors elle parle du passé - dont ses rencontres, enfant, avec Hélène - et du présent. La tradition d'oralité perdure.
D'Achille, la jeune femme reste circonspecte, préférant la compagnie de Patrocle et leurs longues conversations. Achille est fils d'une déesse marine et un guerrier violent et accompli.
"Le casque ne faisait qu'un avec l'homme, comme s'il s'était enchâssé dans sa peau".
Briséis ne parle jamais de sa beauté. "La beauté et la terreur étaient les deux faces d'une seule médaille", préférant s'attarder sur son tempérament colérique et boudeur largement raconté dans l'Iliade dont elle pressent qui ne se calmera pas avant qu'Hector ait rendu l'âme.
"Ce qu'il a fait aujourd'hui viole toutes les règles. Je me suis battu pour cette fille. L'armée me l'a donné - il n'a pas le droit de la prendre".
Pat Barker décrit des femmes soudées dans le malheur, qui survivent malgré tout à la peste d'Apollon et aux fracas des armes. Finalement Le Silence des vaincues restaure la dignité de celles devenues transparentes. Et l'Hubris dans tout ça ? Eh bien il suffit de relire l'Iliade...
Ed.Charleston, août 2020, traduit de l'anglais (GB) par Laurent Bury, 352 pages, 22.50€
Titre original : The silent of the girls