"Un maire de cette ville avait dit que le problème de San Cristobal est que le sordide y côtoie le pittoresque. C'est littéralement exact".
Quand le narrateur s'installe avec femme et enfant à San Cristobal, petite ville nichée au bord de la jungle, il pense que la torpeur du climat va tout envahir. Travailleur social, il est en charge de l'intégration de la communauté indigène Neê dont les enfants font partie du décor local faisant des rues leur terrain de jeu permanent.
Or, depuis quelques temps, ce sont d'autres enfants que l'on voit apparaître. On dirait qu'ils sortent de la jungle le matin pour y retourner le soir. En bande, indifférents aux adultes qui les entourent, ils communiquent avec leur propre dialecte que les habitants n'arrivent pas à comprendre. Leur stratégie ressemble à celle des termites locales qui "sont capables de changer temporairement d'aspect et de prendre celui d'autres variétés pour s'infiltrer dans une colonie qui n'est pas la leur et reprendre leur véritable apparence quand elles ont envahi la place".
Sans leader véritable, ils survivent de la générosité des autres et de menus larcins, jusqu'au jour où, sans foi ni loi, ils décident de piller le supermarché local. Désormais, on ne les appelle plus les Enfants mais les Trente-Deux.
Pour le narrateur ce groupe devient une obsession. Comment les retrouver ? En plus, ils semblent avoir de l’influence sur les enfants de la communauté qui voient en eux des héros en culottes courtes affranchis de toutes règles.
"Ils étaient le mouton noir, la tache visqueuse qui finit par gâter le fruit".
Il faut les retrouver pour que San Cristobal retrouve la paix d'antan et se sente à nouveau protéger par le vert de la jungle.
"Le vert de la forêt est la véritable couleur de la mort. Pas le blanc ni le noir. Le vert qui dévore tout, la grande masse assoiffée, bigarrée, asphyxiante et puissante où les faibles soutiennent les forts, les grands protègent les petits de la lumière et où seul le microscopique ou le minuscule parvient à faire chanceler les géants".
Comme le narrateur, le lecteur se livre à une nouvelle définition de l'enfance au fur et à mesure de sa lecture."L'enfance est plus puissante que la fiction", pense-t-on, mais dans ce roman, l'idée même que nous nous faisons du mot enfance, des images et des poncifs qu'il véhicule est sabordé. Dès lors, les enfants deviennent les ennemis d'un système établi où les adultes font la loi. Les Trente-Deux deviennent alors le symbole d'un autre possible dans lequel les enfants ne sont plus invisible.
"Je suis deux choses qui ne peuvent être ridicules : un enfant et un sauvage"
a écrit Paul Gauguin, que l'auteur reprend en exergue du roman. Une république lumineuse marque à quel point il faut toujours remettre en question ce qu'on croit établi pour des années.
Ed. Christian Bourgois, mai 2020, traduit de l'espagnol par François Gaudry, 192 pages, 18€
Titre original : Republica Luminosa