Paru en France en 2012, sa lecture m'avait captivée du début jusqu'à la fin. Le relire, huit ans après, n'a pas altéré ma première impression, et je reste impressionnée par l'originalité du contenu, son effet page turner, et le basculement vers un autre genre au milieu du roman.
Les Voleurs de Manhattan est surtout une critique cynique du milieu de l'édition littéraire New yorkaise. Le narrateur, Ian Minot, est un modeste serveur de café, écrivain aspirant, qui s'est vu refuser ses nouvelles par toutes les maisons d'édition. Il ne comprend pas pourquoi ses textes qu'il qualifie lui-même de très littéraires et vraisemblables n'ont par leur chance alors que des récits médiocres dont l'invraisemblance saute aux yeux, se retrouvent en tête des ventes, sous prétexte qu'ils sont présentés comme des autobiographies.
Quand Ian croise la route de celui qu'il surnomme l'Homme Confiant à cause de son calme et son opulence apparents, Il est loin de soupçonner que cet homme est un ancien éditeur en vue de la plus grosse maison d'édition de New-York. Jed Roth - c'est son nom - a quitté ses fonctions lorsqu'il a compris que le contenu du livre devenait secondaire par rapport au reste. Selon lui, explique-t-il à Ian, la supercherie est telle qu'il vaut mieux écrire du faux en le faisant passer pour du vécu que des textes fictionnels et assumés.
"Dire la vérité est l'une des meilleures façons de déguiser un mensonge, m'expliquait Roth : ce qui en fait un mensonge, c'est la raison pour laquelle vous le dites".
Jed Roth est cynique ; il veut se venger de ceux qui l'ont mis de côté en considérant que sa façon de penser la littérature était has been. Il a écrit un roman d'aventures, Les Voleurs de Manhattan, dans la plus pure tradition du genre, et veut que Ian passe non seulement pour l'auteur du texte, mais qu'en plus qu'il porte ce récit en le faisant passer pour son vécu donc autobiographique. Selon Roth, c'est la seule façon que le roman soit publié et, lorsqu'il sera en tête des ventes, Ian n'aura plus qu'à révéler la supercherie.
"C'est ce que les artistes essaient de faire : on copie, on copie, on copie, et puis un jour, peut-être, on arrête de faire semblant et on apprend à faire quelque chose d'authentique".
Cette paire improbable forme une très bonne équipe d'arnaqueurs littéraires. Roth explique à Minot comment s'y prendre ainsi que tous les méandres du petit monde de l'édition, particulièrement fermé et fascinant pour ceux qui le voient de l'extérieur. Ian n'a rien à perdre. Ce projet un peu fou lui permettrait par la suite de publier son recueil de nouvelles.
"Au bout du compte, dans l'édition personne ne sait grand-chose de l'existence que mènent les gens normaux. Ils pensent qu'il n'y a qu'un Manhattan, celui où ils habitent. Ils ont trop lu mais trop peu vécu. Ils pensent que tout le monde se comporte comme s'il avait un rôle dans une histoire plus importante".
A quatre mains, ils transforment le roman pour que Ian en devienne l'auteur. Sauf que la vie du jeune homme va prendre un tour très inquiétant quand il va se rendre compte qu'il est recherché par.... les propres personnages de son roman comme s'il vivait véritablement ce qu'il a remanié !
En partant du postulat :
"Ecrire un livre peut être un acte d'un optimisme extrême ; mais s'attendre à ce qu'on le lise, qu'on l'achète, qu'on le publie, c'est un acte d'une prétention phénoménale".
Adam Leger signe un roman plein d'esprit sur un monde littéraire méconnu et décadent. La superficialité est le maître mot et les romans ne sont que des marchandises. La qualité du texte et ce qu'il porte ne sont que des considérations secondaires ou inexistantes. Le livre est un marché qu'il s'agit d'entretenir. La mise en abîme du roman initial de Jed Roth plonge le lecteur dans un roman d'aventures dans lequel toute la première partie du livre prend tout son sens.
L'intelligence d'écriture démontre aussi qu'on ne cille pas lorsque se présente à nous des situations rocambolesques, quasi invraisemblables, qu'on intègre naturellement au récit initial.
Comme je l'ai dit en introduction, Les Voleurs de Manhattan est un page turner, qui ne se prive pas d'être cynique et objectif lorsqu'il s'agit de littérature. Fiction et réalité se mélangent pour offrir une fiction inédite, un roman d'aventures rempli de rebondissements. Un vrai régal !
Le Glossaire à l'édition française, en fin d'ouvrage, explique les titres des chapitres comme autant de références de romans qui se sont révélés être des supercheries après leur publication.
Ed. Gallmeister, collection Americana, traduit de l'anglais (USA) par Laura Derajinski, février 2012, 253 pages, 22.90€