Dans son premier roman, Lucie Paye a choisi la choralité. Un homme, une femme. Un être en devenir, un autre qui a vécu. Ils ne se connaissent pas mais portent en eux la même béance, le même manque. Lui, la certitude de n'avoir pas été aimé par son père trop froid. Elle, la perte d'un être cher emporté trop tôt loin d'elle.
Cette dualité est vite harmonieuse, pleine d'accords. Lui, peintre, doit retrouver l'inspiration pour une future exposition.
"Il travaille plusieurs heures, sans compter, d'un seul élan. Il fait corps avec la toile. Le reste s'évapore".Lors de ses essais de toiles, une silhouette de femme s'impose. Toujours la même avec cet air mélancolique incapable de définir vraiment. Elle, lit ou écrit une lettre au grand absent. Elle y raconte sa vie, ses tourments et cette sensation de le croiser dans la rue ou à des expositions. Guide de musée, elle a trouvé dans une exposition consacrée à Hopper, "ces figures, cette solitude et ce silence au milieu du brouhaha" (...) "l'absence aux autres et à soi-même, le vide au cœur des choses, l'attente insatisfaite". Tout ce qu'elle vit depuis des années.
Lucie Paye dévoile avec parcimonie les secrets de ces Cœurs inquiets. Ses deux personnages sont deux êtres arrachés : l'un à son île du bout du monde, l'autre à son petit. "La maternité est une porte ouverte sur l'immensité", écrit-elle. Tout comme la peinture. Ces deux cœurs se complètent et s'interrogent.
Les Coeurs inquiets est un premier roman délicat et sensible sur le manque et l'absence, l'attente et la certitude. Le jeu de miroirs subtil porte ses fruits jusqu'à un dénouement poignant et inattendu. C'est cela aussi l'art du roman, emmener le lecteur sur des sentiers inédits.
Ed. Gallimard, collection La Blanche, mars 2020, 154 pages, 16€