"De plus, dans le mariage, les marées changeantes sont plus saines que les eaux dormantes. Elle s'était donc résignée aux rencontres, séparations, rencontres, séparations, à cette invariable bascule. C'était leur façon de traiter le gouffre qui sépare toutes les âmes humaines, et cela marchait très bien".Auraient-elles signé si elles avaient su qu'elles deviendraient invisibles ? Chacune a développé une stratégie pour donner le change : l'une fait semblant de ne rien voir et se réfugie dans son lit dès qu'elle est seule, une autre organise des réceptions pour remplir le vide de son quotidien, une troisième s'évertue à rester une épouse et une mère modèle. Or toutes les trois ont en commun ce sentiment persistant qu'elles sont à un carrefour de leur mariage. L'étincelle des premières années n'est plus. Seuls la routine et les tracas quotidiens persistent. Et puis, il n'est pas facile de supporter le regard que votre mari pose sur vous...
"Rachel cligna ses yeux, sèchement. Dans le temps, ses yeux étaient dorés. On l'avait présentée à Thomas comme la seule fille d'Oxford aux yeux authentiquement dorés. C'était en 1961. Presque trente ans plus tard, elle était maintenant la seule femme de sa connaissance, à Londres, aux yeux couleur d'eau de vaisselle (...) Ses pensées méchantes le firent sourire".Côté hommes, le confort reste l'argument fondamental. L'esprit papillonne, le corps réclame la luxure, notamment pour Thomas l'époux de Rachel, mais il n'est pas question d'envisager le divorce. Aucun ne se remet en question...
"Thomas, pensa-t-elle, quoi qu'il arrive dans l'avenir, ne la quittera jamais. C'était un homme qui avait un certain honneur et de profondes habitudes, et tout compte fait, en ce qui concernait le côté pratique, rester avec sa femme lui semblerait préférable aux palabres qu'impliquerait une installation ailleurs".D'autres, tels Tobbie ou Martin ont des loisirs qui les tiennent éloignés de chez eux. C'est plus simple, cela évite la corvée des tête-à-tête silencieux.
Hommes ou femmes, chacun se résout à supporter le poids des années de mariage, comme si l'union était devenue, au fil du temps, une croix à porter.
"Des millions de femmes, à la vie plus sinistre que la mienne, doivent survivre quotidiennement à ces expériences, s'était-elle dit. Mais elles ne pleurent pas. Pourquoi suis-je en train de pleurer ? Ce fut alors qu'elle eut la séduisante idée du lit. Dormir. L'intimité de sa chambre. Un refuge".L'invitation à la vie conjugale est une radioscopie de l'usure amoureuse. A travers le quotidien de trois couples, Angela Huth propose trois analyses différentes sur le mariage et ses conséquences avec le temps, orientant délibérément son propos sur une responsabilité masculine indéniable. Ecrit en 1991, nous sommes encore loin des mouvements de la libération de la parole féminine. Certaines situations décrites dans le roman frisent la violence psychologique. Qui plus est, les personnages évoluent dans un milieu dit privilégié dans lequel il n'est pas d'usage que les femmes travaillent et prennent leur indépendance financière pparemment. Quant aux hommes, leur remise en cause reste peine perdue.
La réédition de ce roman en 2020 est intéressante d'un point de vue sociétal. Le contenu témoigne d'une évolution certaine des mœurs, même s'il reste encore beaucoup d'efforts à fournir.
Ed. La Table Ronde, collection Petit Quai Volaire, février 2020, traduit de l'anglais par Christiane Armandet et Anne Bruneau, 368 pages, 14€
Titre original : Invitation to the Married Lifeli