"Ce qui était arrivé à son fils ressemblait à une horreur de roman gothique, à une malédiction venue d'en haut. Et puisque Eve se trouvait précipitée dans un univers où pareil malheur - un malheur de dimension mythique - pouvait s'abattre sur sa famille, alors il n'était pas exclu qu'un revirement miraculeux advienne de la même manière. Un miracle".Quand on se noie, on tente de s'accrocher à n'importe quoi pour garder la tête hors de l'eau, alors Eve, à défaut de pouvoir compter sur son alcoolique de mari Jed et son second fils Charlie qui a fui à New-York, s'accroche à l'espoir de retrouver un jour le Oliver qui était parti au bal du lycée.
"Mon fils a volé en éclats, reprend Eve. Il s'est éparpillé partout dans le monde, et c'est à moi de ramasser les morceaux".En attendant, se refusant de croire au pire, elle se heurte aux médecins trop fatalistes à son goût, et tente de réguler son penchant à la cleptomanie né d'un constat simple : anticiper les désirs d'Oliver pour pouvoir lui offrir ce dont il rêve lorsqu'il se réveillera.
"Dix ans auparavant, sur les marches du lycée, Hector Espina s'est évadé de ce monde, et aujourd'hui c'est Oliver qui vient de trouver une brèche dans les murs de sa propre geôle, un rai de lumière entre les briques, l'entrée d'un tunnel, une voie de passage pour quitter sa nébuleuse sphère spirituelle".Après un énième contrôle IRM, Oliver a montré des signes encourageants. Une partie du cerveau semble fonctionner, si bien qu'on commence à croire qu'il serait atteint du locked in syndrome. Pour Eve, ce changement de diagnostique est une aubaine ; ne reste plus qu'à trouver le moyen de communiquer avec son fils. Il est encore là, et c'est le principal.
"Quelquefois, aime à dire ton père, une fissure s'ouvre dans notre univers, qui nous permet de voir l'univers voisin".
Or Oliver est loin, très loin, à peine conscient de ce qui se passe autour de lui. Il se sent certes enfermé mais l'essentiel n'est pas ce qu'il vit aujourd'hui. Ce qui le préoccupe, c'est ce qu'il a manqué il y a dix ans. Il n'a pas su prévenir ce qu'il avait vu et compris. Il n'a pas su protéger Rebekkah, celle pour qui il écrivait des poèmes magnifiques. Il n'a pas su enfin réguler l'amour trop exclusif de sa mère pour lui aux dépens de son frère.
"Le hasard et le chaos. Voilà ce qui a fait de leur famille le symbole d'une réalité inconcevable, condamnant son fils cadet à écrire pour se délivrer d'une histoire qui, aux yeux de tous, restera attachée à sa personne. Il n'y a pas de pourquoi.Cela, Eve le sait depuis le début, et pourtant elle n'arrive toujours pas tout à fait à y croire".La famille Loving n'est plus, tout comme la ville de Bliss qui n'a pas su se relever après le drame de la fusillade.
"Seul le hasard a changé la petite vie paisible des Loving en une histoire atroce et extraordinaire qui mérite d'être racontée".Or, les signes de vie d'Oliver obligent la famille à se réunir. Des décisions vont devoir être prises. Et Rebekkah va devoir arrêter de fuir pour prendre ses responsabilités et affronter le passé.
Dans l'espace, personne ne vous entend crier. Dans le coma, Oliver a beau crié, personne ne l'entend non plus. Le hasard a voulu que sa vie soit fauchée, provoquant ainsi un drame dont personne autour de lui ne réussit vraiment à se relever.
Stefan Merrill Block a le goût de la narration dense, des répétitions, facilitées par le choix du roman choral. Et s'il faut s'accrocher au style sur les cinquante premières pages, Le Noir entre les étoiles propose ensuite une analyse intelligente et captivante sur la résilience, la famille et le traumatisme.
"Il était une fois un garçon qui tomba dans une faille temporelle. Et après ? Il était une fois un petit garçon qui tomba dans une faille temporelle, mais il n'atteignit pas le fond et une partie de lui fut retenu en arrière, de l'autre côté".Jed et son fils étaient des astronomes amateurs. Le roman exploite cette passion qui les réunissait en faisant de l'état d'Oliver un voyage spatio-temporel lui permettant de voir les siens d'en haut. La métaphore est filée, permettant ainsi de donner de la voix à celui qui est figé dans le lit numéro 4 de l'hôpital d'El Paso.
Le Noir entre les étoiles est un roman exigeant qui mérite qu'on prenne le temps de le lire et surtout de l'apprécier. Les tourments de la famille Loving interpellent et invitent le lecteur à l'empathie.
Ed. Albin Michel, collection Terres d'Amérique, février 2020, traduit de l'anglais (USA) par Marina Boraso, 448 pages, 22.90€
Titre original : Oliver Loving